Lucy

Maman m'a toujours dit

Maman m'a toujours dit qu'elle me trouvait forte. Au début, j'avais du mal à y croire. Puis, plus je grandissais, plus cette image de ce moi fort était gravée dans ma tête. J'avais confiance en moi. Mais, lorsque j'ai été obligée de quitter le cocon familial trop brutalement, cette image s'est effondrée en même temps que moi. J'ai mis trop de temps à la reconstruire, pour finalement ne pas y parvenir à cause des humiliations de Tom. J'étais brisée.
Aujourd'hui, grâce à Max, cette image prend un peu plus sa place. Elle revient, doucement. Mais, je suis effrayée à l'idée qu'elle s'en aille définitivement lorsque je reviendrais aux côtés de celui que j'aime malgré tout.

- Tu veux l'appeler ?
Mes yeux se posent sur Max. Un léger sourire trône sur mes lèvres. Cela fait une semaine que je n'ai eu aucune nouvelle de Tom. Max m'a dit que lui en avait, mais qu'il préférait ne pas me les dévoiler.
- Oui, s'il te plaît.
- Tu me le diras s'il te dit des atrocités, n'est-ce pas ?
- Oui, oui. Je te le dirais.
Il prend son portable, tape quelques fois sur l'écran puis me tend l'appareil. Mon sourire s'agrandit en voyant son prénom puis je mets le portable sur mon oreille.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Sa voix est grave et agressive. Je soupire.
- C'est Lucy.
- Oh, Lucy...
Sa voix s'éclaircit.
- Comment tu vas ?
- Je suis aussi sobre qu'un saint. Je comprends rien à ce qu'il se passe et j'me sens seul. Genre, super seul.
- Je vois.
J'essaie de faire passer aucune expression, aucune émotion dans mes paroles. En réalité, j'ai les larmes aux yeux.
- Et toi ?
- Moi, ça va super bien. Ça fait une semaine que j'ai pas été projetée contre un mur, ça fait du bien.
- Écoute...
- Tu vas quoi ? Tu vas t'excuser ? Encore ?
- Lucy...
- Non !
- J'ai besoin de toi.
- Je t'en prie, ne me dis pas ça. C'est faux. Il y a un punching hall à la mai... chez toi. Il va pouvoir t'aider.
Max ne quitte pas mon regard et fronce les sourcils.
- Lucy, non, j'ai pas dit ça...
- Ouais, tu l'as pas dit. Mais quand je vais revenir, si je reviens... Ça reviendra comme avant parce que tu sais pas te tenir.
- Mon amour...
- Ne m'appelle pas comme ça !
- Je... Je vais jamais tenir sans toi. J'vais me foutre en l'air si t'es pas là.
Mes larmes coulent.
- Non, tu vas pas faire ça.
- Si, si tu ne reviens pas je vais le faire.
- Comment tu peux faire ça...?
- J'sais pas, j'crois qu'il y a assez de médicaments ici, ou j'dois avoir un flingue quelque part.
- Non, comment tu peux me faire un chantage pareil...?
- C'est pas du chantage, c'est un fait. Si tu reviens pas je vais me foutre en l'air.
Je sers mon poing libre, et ma jambe droite se met à trembler.
- Laisse-moi encore quelques jours.
- Combien ?
- Je sais pas. Laisse-moi encore quelques jours, on verra.
- Reviens vite Lucy.
- Je... Je vais voir.
- Je t'aime, ne l'oublie jamais.
- Je... Moi aussi...
Il raccroche par lui même, sans me prévenir. Je pose mon regard sur le sol et rend le portable à Max. Je ne parle pas.
- Qu'est-ce qu'il a dit ?
- Rien... Rien de spécial...
- Tu me caches quelque chose.
- Mh...
- Lucy, pourquoi ?
Je secoue la tête.
- Je vais y retourner.
- Quoi ? Lucy, non, c'est trop tôt.
- Non, il faut que j'y retourne...
- Je peux pas te laisser faire ça !
- Il... Il m'a... Il m'a dit qu'il allait se suicider si je reviens pas...
Ma voix s'étouffe dans des larmes, des sanglots. Max me prend immédiatement dans ses bras.
- Chhht... Il bluffe... Il ferait jamais ça.
- Qu'est-ce... que... t'en sais...?
- Il n'osera jamais.
- Je... Je sais pas... Et s'il disait la vérité...?  Je...  veux pas qu'il meure...
- Je sais que tu veux pas ça. Il le sait aussi. C'est pour ça qu'il te l'a dit Lucy. C'est du chantage affectif, c'est mauvais, c'est toxique. Il n'a pas le droit de te faire ça.
- S'il dit la vérité...
Max secoue la tête.
- Non, ne penses pas à ça. Il ne fera pas ça. Il te veux à ses côtés.
- Veux pas qu'il meure...
- Je sais Lucy... Je sais...
Il caresse mon dos et me sert fort, sans me faire mal. Je me calme comme ça, dans ses bras.

Je ne suis sûrement pas si forte que ça. Maman avait tort. Je n'ai rien d'une fille forte. Je suis tout le contraire.
Lorsque maman disait ça, je me cachais à travers un faux caractère. À travers le sport que je pratiquais, la boxe. J'avais cette image de cette fille pouvant me défendre face aux personnes qui m'embêtaient, parce que c'était au fond le cas, j'en avais la capacité physique. Je cognais dans le tas lorsqu'on me cherchait. Mais, ce n'est pas ça être forte. Être forte, c'est dans la tête. Je suis actuellement tombée face à plus fort que moi. Je n'ai ni la capacité physique ni la capacité, la force mentale pour y parvenir. Je ne peux pas. Je ne suis pas entraînée à ça.
Je suis tombée face à plus fort que moi, et je suis coincée face à son allure et à sa force. Peut-être que lui non plus, il n'a pas de force mentale. Mais je sais que sa force physique est plus forte que la mienne. Je n'ai pas la force de la combattre. Je n'ai pas la force de le battre et encore moins de combattre contre lui.
Ça m'est impossible.
Je ne suis pas forte. Je ne suis pas forte parce que lutter contre lui m'est impossible. Lutter contre ses chantages m'est impossible. Lutter contre ses insultes et ses humiliations non plus.
Maman avait tort. Maman n'en savait rien. Et, maman ne sait toujours rien.
Si maman savait.
Si maman savait ce que sa fille est devenue. Si seulement.
Je ne veux même pas lutter. Je veux le rejoindre.
Je ne peux pas lutter contre mes sentiments non plus.