Les larmes des Morts 1

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Wulong hocha de la tête, les yeux plissés, peu surpris de l'accoutrement de son protégé. Depuis quand n'avait-il pas joui de la chaleur d'un bain ?

Tendrement, il prit sa main et l'entraîna dans le pavillon extérieur, le plus loin de la demeure parentale, et lui fit monter les quelques marches. Ils conversèrent sur des sujets anodins, une discussion d'enfant, à propos de la forme des nuages et de cette fameuse grenouille qui avait fuie à l'instant où il avait bondi dans l'eau. Wulong riait à toutes ses phrases. Car il n'était pas présent pour le garçon, alors il lui offrait toute la tendresse du monde, dès qu'il rentrait. 

À l'intérieur, il le conduisit jusqu'à une salle d'eau, recouverte de poussières et contenant une bassine. Il la remplit d'un liquide froid et lui indiqua de s'asseoir sur un mince tabouret. D'une délicatesse inouïe, il lui enleva un à un ses vêtements sales, il les épousseta vivement sous les bougonnements de Liang dont le corps refroidissait. Wulong plongea son doigt dans l'eau qui se réchauffa instantanément, comme par magie. Il y trempa un tissu usé, l'essora et frotta sa peau. En bon râleur, le petit essaya de se débattre.

— C'est froid ! rouspéta-t-il, arrachant un sourire presque fraternel à l'alchimiste. Je préfère être sale, s'il vous plaît, Long-Shū shu!

— Que t'ai-je dit de nombreuses fois ?

— Je m'en moque ! affirma-t-il, mais Wulong fit en sorte que l'eau redevienne gelée. Désolé, désolé, Long-Shū shu! Si je ne me lave pas, je ne pourrai jamais séduire de demoiselle et me marier, c'est ce que vous dites. Mais, Shū shu, les filles du village sont méchantes avec moi, je ne veux pas d'elles.

Wulong n'était pas son oncle, mais le garçon aimait à le nommer ainsi, alors il ne commentait pas.

— Qu'ont-elles fait pour provoquer la colère de mon petit ?

— Elles m'ont accusé de voler leurs jouets, parce qu'elles les ont cassés et elles ne voulaient pas l'admettre à leurs parents. J'ai été fouetté par un Seigneur et ils refusent tous de me parler, parce que je suis un voleur à leurs yeux. Je le répète, elles sont méchantes !

— Ne se sont-elles pas excusées ?! s'injuria l'aîné.

Le garçon répondit par un haussement d'épaules qui signifiait 'non'. Wulong mordit sa lèvre supérieure, tout en le lavant. Peut-être que, pour son séjour ici, il pourrait se rendre au village et interroger ces fillettes. Qu'elles ne s'excusent pas, c'était un fait ; mais il ne supporterait pas que ce petit soit dévisagé par les locaux pour un crime qu'il n'avait pas commis. Soupirant tristement, il se promit de revenir plus souvent pour surveiller la situation ici.

Après avoir terminé, il le rhabilla avec les mêmes habits. Il lui en achèterait d'autres demain. Liang l'amena dans la cour et lui proposa, ou le força, à jouer avec lui, près de l'étang. Sa mère traversa le jardin et mima des remerciements silencieux pour s'occuper aussi bien de lui. Ses parents se montrèrent une minute à la fenêtre de la demeure et le jaugèrent, sceptiques, ne saisissant pas pourquoi leur fils s'embêtait à côtoyer ce petit. Wulong les ignora et tout l'après-midi se déroula ainsi. 

Peu avant le soir, le ciel fut perturbé par des nuages et un violent vent se leva. Il insista pour rejoindre le confort de la maison, mais son protégé désirait jouer un peu plus longtemps. Résigné, il prolongea leur jeu.

Avec un mauvais pressentiment.

— Je suis sûr que mes disciples ne seront jamais aussi forts que toi, clama-t-il, encourageant le jeune dans ses rêves. Ils ronchonnent constamment et mettent un temps fou à exécuter les exercices que je leur soumets. Je travaillais bien mieux sans eux, ils me ralentissent. Mais, que feraient-ils sans moi ?

— Ils seraient perdus, parce que vous êtes le meilleur, Shū shu, garantit Liang. Puisque vous êtes un excellent professeur, m'enseignerez-vous l'art de l'alchimie quand je serais grand ?

— Cela va de soi, mon petit ! Ainsi, je formerai le meilleur des alchimistes !

Le moins âgé gigotait et gloussait de satisfaction à cette nouvelle. En effet, il aspirait plus que tout à se mettre au service de son futur Shifu, de recevoir l'éducation que Wulong offrait à tous et se forger à ses côtés.

Wulong faisait partie de l'ordre vénéré des alchimistes de Hù lǐ ; pour des ignorants, il s'agissait vaguement de médecins qui pratiquaient une magie inconnue ou mystérieuse. Or, leur art était bien plus complexe. Ils utilisaient leur pouvoir afin de créer, recréer et procréer. Une blessure ? Ils refermaient la plaie en un claquement de doigts et ne laissaient plus de trace. Aucune cicatrice.

Voilà pourquoi ils s'étaient bousculés pour soigner le Jeune Maître de Zhī dào à l'époque de son incident, mais son père avait fait appel à ses propres médecins, condamnant son fils à porter les marques de son agression pour la vie.

De véritables bienfaiteurs, la fierté de leur Secte. En plus, Wulong avait été honoré du titre de Gardien de Hù lǐ, après avoir sauvé la vie du Patriarche. Liang l'admirait tant.

— Je surpasserai ce Shifu, je le jure, s'écria joyeusement le petit.

Mais, l'alchimiste s'était désintéressé du petit. Toute son attention se focalisait sur un point précis. 

Au loin, au milieu des arbres et du champ, à l'extérieur du domaine, il flairait une énergie malveillante. Une aura puissante qui fit frémir son être. Il le sentit, cette chose possédait un pouvoir incommensurable et très noir. Au début, il supposa que cette sensation s'éloignerait ou finirait par disparaître, une sorte d'anomalie dans l'équilibre des Trois Royaumes, mais elle perdura longtemps et se rapprocha. Assez pour l'inquiéter.

Liang ne l'avait pas remarqué et continuait à bavarder, mais Wulong ne l'écoutait plus, sourcils froncés. Lentement, alarmé par cette force, il se redressa et le garçon comprit son absence de concentration sur lui. L'homme, qu'il nommait affectueusement Shū shu, s'avança dans la direction de cette chose, et il essaya d'en déterminer l'essence, l'origine, la provenance.

— Shū shu ? interpella l'enfant. Wulong-Shū shu? Regardez, j'ai fabriqué un papillon avec ces bouts de bois. Vous pourriez le faire voler ? Shū shu? Je crois que quelque chose ne va pas avec le ciel.

La fosse des LamentationsWhere stories live. Discover now