Chapitre 25

Depuis le début
                                    

— Par exemple, l'amour de la nature.

— Oxane apprécie les longues promenades en forêt. Souvent, elle se rend du côté de la cascade près de la maison abandonnée pour plonger. Avec sa sœur, elles avaient l'habitude de se poser plus loin sur la plage pour admirer l'océan. Oxane a l'âme d'une héroïne romantique.

Incontestablement, Emmanuelle se montrait possessive.

— Je n'en doute pas, ai-je répondu.

— Mélancolie, unique amour, solitude, contemplation des paysages, balade seule les mains dans les poches... Je ne vous apprends rien étant donné que vous connaissez ma Oxane, tout aussi bien que moi.

Une jalousie à peine voilée.

— Je n'ai pas la prétention d'affirmer un tel fait, mais oui, « notre » Oxane compte énormément à mes yeux. Je ferai mon possible pour l'épauler. Elle a besoin d'être entourée par des personnes bienveillantes qui l'aiment et qui ne cherchent que son bonheur.

Emmanuelle a pincé les lèvres en me considérant du regard avec plus ou moins de sympathie. Pour couper court à la gêne occasionnée par mon air distant et ses doutes, elle a avalé une grande gorgée de thé à la menthe dont elle a apprécié la saveur.

— Je l'avoue.

Silence. Ce n'est pas l'envie qui me manquait d'entrer dans sa tête.

— Je suis un peu jalouse. Juste, un chouia, a-t-elle repris.

— Emmanuelle. Je ne vous volerai pas votre amie.

— C'est ce que vous dites maintenant.

— Je vous en fais le serment.

S'interrogeant sur mon ton solennel, la jeune femme m'a dévisagé troublée. Je ne lui mentais pas. Je n'allais pas m'accaparer Oxane. Je considérais qu'il y avait assez de place pour Emmanuelle et pour moi.

— Que devrais-je dire à ses parents quand ils vont commencer à chercher leur fille ? Ça ne va plus tarder. Ils lui rendent visite un jour sur deux.

— La vérité. Qu'elle se repose. Qu'elle est en sécurité et qu'il faut lui donner du temps et de l'espace pour aller mieux.

J'ai lu dans l'esprit confus d'Emmanuelle qu'elle hésitait à me poser une énième question. La prenant de court, j'ai formulé une réponse juste et sincère — à mon sens —.

— Oxane n'est pas folle. Elle n'arrive simplement plus à gérer une période compliquée de sa vie.

— Je ne sais pas quoi faire pour l'aider. Je suis démunie.

— Vous m'avez appelé pour me prévenir de son hospitalisation...

— ... De son « internement », a cru bon de préciser Emmanuelle. Je vois le lien qui vous unit. Oxane est en partie apaisée depuis que vous vous fréquentez.

— N'ayez crainte, à l'heure qu'il est, les parents d'Oxane ont appris la sortie de leur fille. Elle a son portable et peut les contacter ou répondre à leurs appels. Laissons-lui le temps de digérer les récents évènements.

— Je ne peux pas en vouloir à ses parents pour leur choix. Je ne sais pas quelle aurait été ma décision en pareille situation. Ils ont déjà perdu une fille. Il est normal qu'ils soient vigilants avec Oxane. Ils ont peur de revivre un drame. D'autant plus que la famille se brise en mille morceaux. Chaque membre à sa vision des choses...

— J'ai cru comprendre que les liens qui les unissaient se rompent peu à peu. Nous veillerons à ce qu'ils ne se cassent pas définitivement.

— Nous vivons tous très mal d'avoir enterré un cercueil vide, s'émeut Emmanuelle qui réprime son chagrin pour essayer de paraître forte. Petite, quand je suis arrivée en France avec ma famille, j'ai eu un de coup de foudre amical pour Oxane. L'adorable Eleanor était toujours dans les parages, jamais loin de sa sœur. Leur complicité, ce duo qu'elles formaient, incarnait pour beaucoup une sorte d'idéal. Je ne sais pas si je m'explique bien, vous voyez ce que je veux dire ? Elles se racontaient tout, pouvaient compter l'une sur l'autre...

— Je comprends. J'ai un frère.

— Ah oui ? Il faut dire que je ne sais pas grand-chose à votre sujet. Oxane garde le secret.

— Il n'y a pas tant de mystère que cela.

— Vous et votre frère êtes proches ?

— Ma relation avec Pavel, mon aîné, est d'une éternelle complexité. Il me pique alors je le mords. Je le rouspète et il me hurle dessus. Pourtant, nous sommes indissociables l'un de l'autre.

— Il est votre opposé ?

— Il est tout ce que je ne suis pas, ai-je révélé en souriant songeant à ce que les Français dix ans plus tôt avaient appelé la tempête du siècle.

Tempête provoquée par l'un de nos affrontements ayant duré plus de trois jours. Une bataille qui a effrayé les sept autres Archanges, spectateurs d'une situation explosive. J'ai obtenu ce que je voulais de Pavel : qu'il la boucle et prenne sous son aile des chérubins. Depuis, toujours vexé, il ne m'envoyait que quelques cartes par an pour me souhaiter de mauvais anniversaires, des Saint-Valentin atroces et des fêtes de Noël horribles. Parfois, il me menaçait de traverser l'Europe pour venir m'arracher les « couilles » en sachant pertinemment que nos bourses faisaient office d'ornement. Depuis la création de la terre, jamais un Archange n'était parvenu à procréer.

— Sacré Pavel, ai-je ri.

— Tout va bien ?

— Je repensais à mon frère.

— Profitez de lui et de tous les gens que vous aimez. On ne sait pas de quoi demain sera fait, m'a prévenu Emmanuelle en se levant pour se préparer à partir.

— Oxane est une belle personne. Prenez-en soin. Je vous la confie... pour ce soir.

— Ma porte vous sera toujours ouverte. Vous pouvez lui rendre visite autant de fois qu'il vous plaira.

Traduction : elle restera avec moi ce soir et les prochains jours.

— OK, s'est rassurée Emmanuelle en enfilant sa veste. Je pourrais peut-être lui tenir compagnie demain après-midi. Qu'en dites-vous ?

— Je suis certain qu'Oxane en sera ravie.

— Je lui apporterai d'autres affaires, a-t-elle conclu en franchissant le pas de la porte.

Me retrouvant seul dans le vestibule, je me suis perdu dans mes songes avant d'entreprendre de grimper les marches deux à deux pour aller réveiller la belle. Elle ne dormait pas, mais tournait mollement les pages d'un livre de mythes et légendes sur Beaupuy.

— Quand te décideras-tu à m'en apprendre plus sur toi ? a-t-elle demandé d'une voix fluette presque inaudible.

J'ai sorti des vêtements d'une valise apportée par Emmanuelle.

— Maintenant. Habille-toi, s'il te plaît.

— Je n'ai pas envie de bouger.

— Je crois que certaines de tes questions méritent des réponses immédiates. Donc, prépare-toi. Nous sortons.

— Je ne suis pas lavée.

— Pas besoin.

— Marin.

Visiblement, ma partenaire n'était pas décidée à répondre positivement à mes requêtes. Très bien.

Malgré son opposition, j'ai tiré Oxane du lit.

— Marin ! Arrête !

La portant sur mon épaule tel un sac à patates, dont je prenais grand soin, j'ai quitté la propriété pour m'enfoncer sur la plage en direction du soleil couchant entre les falaises.

— Et Emmanuelle ?

— Rentrée.

— Marin ! Repose-moi !

Ni une ni deux, j'ai déployé mes ailes pour m'élever dans les airs Oxane accrochée à mon cou. Plus le temps de tergiverser. Elle devait en apprendre plus sur sa véritable nature d'Immortelle.


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