Chapitre 40

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La sensation de froid ne la quitte pas de toute la durée de son rêve. Elle se sent frissonner alors qu'elle arpente les limbes. Rien à y faire, elle ne parvient pas à se réchauffer. Sa conscience se met pourtant en quête d'un feu. Elle ne trouve que de l'eau. Le bruit des vagues qui va et qui vient finit par traverser les nappes du sommeil et elle ouvre les yeux. Quelques secondes s'écoulent avant qu'elle ne reconnaisse l'endroit où elle se réveille. Elle redresse la tête, constatant soudain qu'elle ne reposait pas sur un oreiller mais sur un torse nu. Elle sort tout à fait de son état de semi-conscience, tous ses sens en éveil. Tom grogne. Lui est toujours endormi. Ils se sont assoupis sur le canapé, la veille au soir. Quelle heure est-il ? Elle tourne la tête dans tous les sens mais elle ne voit aucune horloge, montre ou téléphone sur lequel arrêter son regard. Prise de panique, elle remue le bras du jeune homme, qui jusque-là, se rend-elle compte, la tenait enlacée tout contre lui.

— Tom, dit-elle en s'empourprant.

Il faudra plusieurs appels avant de le voir émergé à son tour. Il est tout autant perdu que Joanne, ses yeux encore embrumés par ses songes.

— Qu'est-ce que...

— On s'est endormi dehors, dit-elle en se levant. Et je vais être en retard ! réalise-t-elle soudain.

— Ca va devenir une habitude, chez nous, fait-il remarquer, taquin.

Peu encline à plaisanter, elle l'abandonne à son sort, courant vers la porte-fenêtre pour rentrer à l'intérieur de la villa. Elle manque de trébucher en prenant le virage du couloir. La désagréable sensation de froid disparaît dès qu'elle retrouve le cocon de l'habitation. Elle se rend directement dans la salle de bain pour prendre une douche. Elle doit cependant renoncer à laver ses cheveux : ils n'auront pas le temps de sécher d'ici à son départ. Ce sera pour ce soir.

Elle se frotte le corps avec ardeur, rendue brusque par le temps qui s'écoule. Sitôt dehors, elle se frictionne avec une serviette, teintant sa peau de rouge tant cette dernière ne supporte que peu le rude traitement qu'on lui inflige. Elle retourne dans sa chambre, nue comme un ver, pour s'habiller. Fouillant dans son tiroir, elle en extirpe une culotte, qu'elle enfile debout, manquant de tomber en restant coincée. La poitrine à l'air, elle peste contre elle-même alors qu'elle parcourt l'ensemble de sa garde-robe à la recherche d'un vêtement à se mettre. Si elle avait un tant soit peu de jugeote, elle l'aurait préparé la veille. Faute de mieux, voyant qu'elle s'approche fatidiquement de l'heure du rendez-vous, elle renonce à sortir le grand jeu et privilégie le confort : jean, pull et baskets, comme à son habitude. Elle n'a pas non plus l'occasion de se maquiller, elle doit d'abord se préoccuper de ses cheveux gras. Un coup de brosse en arrière, un épais élastique et les voilà coincés dans une queue-de-cheval haute qui lui tire un peu les traits du visage tant elle est serrée. Cela la rend très stricte, impression contrebalancée par son allure plutôt dégingandée, dans cette tenue d'adolescente. Tant pis, se dit-elle. Elle ne va pas à un défilé de mode non plus. Elle est actrice, pas mannequin.

Toujours le Diable aux fesses, elle retourne dans la pièce à vivre. Une odeur d'œufs et de bacon lui chatouillent les narines. Fidèle à son flegme britannique, Tom lui a préparé, en deux temps trois mouvements, un petit-déjeuner solide et gourmand, qui l'attend sur le comptoir de la cuisine. Une tasse de thé accompagne l'assiette – il se rappelle toujours qu'elle n'aime pas le café. Encore une fois, son cœur se remplit de gratitude et de réconfort et elle prend quelques minutes pour s'assoir.

— Tu as fait vite, fait-il remarquer. Il te reste un quart d'heure avant que le taxi n'arrive.

Il lui montre l'écran de son téléphone. Prévenant, George n'a pas manqué de lui rappeler le rendez-vous. Elle cherche dans sa poche son propre smartphone. Dans la barre de notification, un message identique s'affiche. Son agent pense vraiment à temps. Elle profite donc de ce bref moment de répit pour apprécier son repas et se remplir l'estomac. Même si ce dernier est quelque peu serré, tendu à l'idée de l'épreuve à venir, il ne refuse pas un tel plaisir. Mieux valait avoir un peu d'énergie, avait-elle appris au cours de sa vie entrecoupée de grands moments de stress. Manger, elle arrivait à le gérer, parfois un peu trop bien. C'était souvent devenu son refuge, à son grand désespoir. Elle en portait les marques sur son corps mais curieusement, cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas haïe en voyant son reflet. « Plus depuis que j'ai quitté Jonathan », se dit-elle. C'était toujours lui qui lui faisait la remarque que son jean commençait à devenir un peu plus serré, qu'on voyait ses poignées d'amour dépasser. Pendant l'amour, il ne portait que rarement son regard sur elle et quand il le faisait, c'était pour esquisser une mine de dégoût qui ne lui échappait jamais.

Those Ocean Eyes [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant