Chapitre 15 : Les Enfers

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Puis tout explosa. À peine avais-je bougé mon poignet, que des flammes noires avaient envahi le terrain. Je n'avais pas encore conscience de la façon dont cette prouesse avait eu lieu. Mais elle était là. Vivante. Envoûtante. Puissante.

L'odeur du brûlé piquait désagréablement mes yeux et la chaleur, déjà étouffante il y a quelques minutes, avait augmenté de moitié. Toutes les parcelles de mon corps suaient à grandes gouttes, à tel point que je dus plusieurs fois essuyer mon visage d'un revers de la main. Toute ma concentration reposait sur Alec. Je savais combien il pouvait être rapide et silencieux comme un chat. Ses téléportations et sa simple force physique suffirait à me faire mordre la poussière. Je n'avais qu'une seule option : le surprendre.

Alec avait sûrement eu le temps de se téléporter, aussi m'attendais-je à ce qu'il m'accueille avec un grand sourire, juste derrière mon dos. Instinctivement, je me retournai avec agilité, et le vit avec un visage décontenancé, à quelques mètres de portée. L'effet de surprise avait fonctionné.

En détaillant son visage de plus près, une goutte de sueur perlait sur son front. Je l'avais touché, c'était déjà ça. Avec ma main gauche, je traçai une sphère imaginaire autour de lui. J'imaginai les flammes l'encercler complètement, caresser dangereusement son corps. Ce que je désirais le plus au monde ? Le voir s'enflammer.

Il ne bougea pas d'un centimètre lorsque les flammes l'encerclèrent. Au contraire, il se redressa sur ses jambes, se tenant parfaitement droit et ferma lentement les yeux. Ce geste imprudent eu raison de ma patience. Je m'apprêtai à refermer le cercle de flammes sur lui, mais ne pus faire le moindre mouvement.

À la place, ce que je vis me glaça le sang. Le décor avait complètement changé. La forêt enchanteresse avait laissé place à des immenses montagnes ternies par le temps. La roche semblait abîmée, ça et là des fissures larges d'au moins un mètre était remplies d'un liquide visqueux à la couleur cinabre. Mes yeux s'agrandirent au fur et à mesure de cette découverte. Le chant des oiseaux s'était tu, plus aucune once de lumière habitait le paysage. Un bruit sourd grondait au loin, avec parfois des cris graves, semblables à une séance de torture. Quand je levai les yeux en direction du ciel, ma bouche resta entre-ouverte. Le ciel était presque noir, et les tourbillons gris au fond du paysage ne faisaient qu'amplifier la peur dans mon ventre. Le vent soufflait fort dans mes cheveux, je peinai à rester debout sans me concentrer sur mon équilibre.

Soudain, je le reconnus, en contre bas, entre deux énormes montagnes : le Styx. Ma professeur de théâtre, Mme Branchard, nous sermonnait sans arrêt à son sujet, lorsque nous jouions ces interminables tragédies grecques. Il s'agissait du fleuve des enfers, le point de passage entre le monde terrestre et celui des morts. Les défunts, lorsqu'ils avaient de la chance – dans ce cas parler de chance était un euphémisme car ils avaient tout de même fini ici – traversaient le fleuve avant d'être envoyé dans les tréfonds des enfers. Sinon ils se noyaient, absorbés par le fleuve et vouaient le reste de leur misérable existence à une souffrance sans fin. Je revenais à ce décor macabre, en secouant la tête, hébétée. 

Qu'est-ce que je fichais là ? 

Un claquement de chaînes vers ma droite me sortit de ma torpeur. Une vieille dame s'approchait vers moi d'une démarche boiteuse. Elle portait une cape noire déchirée qui laissait entrevoir ses maigres jambes, je distinguais  presque son tibia à travers sa peau diaphane. Ses longs doigts crochus pianotaient sur sa canne en bois bien plus haute que son petit corps svelte. Sa capuche cachait son visage, mais je l'entendais murmurer je-ne-sais-quoi d'une voix chevrotante. Je m'approchai en baissant la tête afin de visualiser ses traits. 

Une obole... pour la traversée... me demanda-t-elle soudainement. 

Une obole ? Mince ! J'ai déjà entendu ce mot quelque part ! 

GOD'S RETURNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant