depuis que Blanc est parti.

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 Bleu fume au balcon et regarde les étoiles ; la vie a perdu de sa clarté depuis que Blanc est parti.

« Tu penses beaucoup, remarque Rose. »

Depuis que Blanc est parti, Rose ne prend plus le temps de réfléchir. Avec Orange, ils s'en vont tout les soirs, rentrent avec le soleil avec des couleurs nouvelles au fond des yeux.

Depuis que Blanc est parti, ils cherchent une clarté artificielle. Ils cherchent à retrouver leur éclat d'antan.

Ils veulent revoir la vie en rose.

« C'est toi qui ne pense plus.

— Je ne veux plus penser. »

Bleu ne fait que ça, penser. Il pense pour trois. Il pense à en brûler sa rétine sur le plafond. Ses yeux sont bleus cernés, ses traits sont creusés, sa figure est fatiguée.

« Je ne comprend pas, objecte Bleu. »

Rose fait la moue. C'est plus simple de ne pas penser quand on voit trop flou pour avoir les idées nettes.

Rose est superficiel. Il s'entraîne à sourire tout les matins devant le miroir ; il repoudre son nez et fait croire aux autres couleurs que les larmes à ses joues sont des paillettes, vestiges de ses folles nuits sans sommeil.

Mais c'est probablement la couleur la plus grise.

« Blanc me manque, soupire Bleu. »

Le regard de Rose est amer.

« Blanc nous manque à tous, corrige-t-il. »

Bleu veut parler. Il veut partager ses questions. Il cherche des réponses. Bleu veut défaire les noeuds qui obstruent son esprit, qui rendent ses nuit blanches et ses pensées noires.

Rose veut juste oublier.

Jaune interrompt le silence en s'asseyant à côté d'eux. Il ne parle pas ; c'est sa manière d'exprimer sa souffrance : il garde les yeux au sol et devient l'ombre de lui-même.

Comme une lumière éteinte.

« Où est Rouge ? Demande Bleu. »

Jaune ne répond pas. De toute manière, Bleu sait où est Rouge. A la salle de sport, pour étouffer sa colère par les cris du cuir sous ses poings.

« Où est Noir ? »

Personne ne le sait. On garde le silence. Ici, le silence n'est pas d'or, mais de plomb. Il leur pèse sur le coeur mais c'est la seule manière de garder les larmes pour l'âme.

Rose rêve de sa bouteille. Jaune fixe ses pieds. Bleu triture ses doigts.

Depuis que son grand ami, Blanc, est parti, Noir ne sait plus quoi faire de sa carcasse. Il s'enferme des jours dans sa chambre pour pleurer, sans en sortir. Et puis parfois, il s'en va. Pendant des jours. Sans donner de nouvelles.

Bleu a souvent le ventre qui se noue, en se disant qu'à chaque fois que la porte claque, c'est peut-être la dernière fois que Noir la fera claquer.

« Je sais pas. »

Bleu lève les yeux ; la voix de Jaune lui paraît si irréelle.

« Je sais pas et je m'en fous. C'est de sa faute si on a perdu Blanc. Noir c'est une mauvaise personne, avec une mauvaise influence. Noir il rend les gens mauvais. Noir c'est un charbon, il noircit les coeurs et les pensées et quelle meilleure cible que Blanc ? »

Il mentait ; Blanc n'avait jamais aussi innocent qu'il l'avait toujours prétendu. Bleu en était persuadé. Blanc était le premier manipulateur, Noir cherchait juste un ami.

La disparition était facile à mettre sur le dos de Noir. Il avait toujours eu une malchance terrible, les problèmes lui collaient comme une seconde peau, un véritable chat noir. Forcément que les choses tourneraient mal.

« Tu t'attendais à quoi ? grince Bleu.

— Y'a pas que Vert qui porte malheur, rajoute Rose dans un sourire crispé.

— Oh toi la ferme ! explose finalement Bleu. »

Il ne peut plus endurer l'humour noir ; c'est quelque chose de grave, qui est arrivé. Personne ne sait vraiment ce qu'il s'est arrivé. Personne ne sait si c'était un suicide camouflé ou juste un mauvais dosage.

La seule chose que Bleu sait, c'est que le sujet est douloureux, la plaie encore ouverte, la plaie encore brûlante et que rire de ça, c'est l'embraser.

« Tu veux en parler ? répète Rose. Alors parlons-en.

— J'en parle, martela Bleu. Mais moi, j'ai la décence de ne pas en rire.

— Moi, j'ai la décence de pas nous pourrir la vie avec mes états d'âmes, à attirer toute la pitié sur moi ! »

Rose s'essuya faussement le nez en accentuant des pleurnicheries grotesques.

« Oh, ouin je suis si triste, je suis la couleur la plus triste, je suis la couleur de la nuit silencieuse, je suis la couleur des larmes étouffées dans l'oreiller, je suis la couleur des insomnies à s'en noircir les poumons, je suis la couleur des questions sans réponses à s'en retourner le cerveau, c'est bon, on a compris, change de disque. C'est pas parce que tu montres ta tristesse que ça te rend plus triste que nous. A t'entendre, c'est toi qui est mort ! »

Un silence de mort plana. Jaune se pinça les lèvres et brisa le blanc.

« Vous êtes tout les deux des abrutis. »

Les larmes roulaient sur son visage mais il repoussa avec vigueur la main de Rose qui partait vers son épaule.

« Votre course ridicule à qui souffre le plus. La personne qui souffre le plus, c'est Blanc. »

Blanc, c'était toutes les couleurs. En partant, il avait pris un petit bout de chacun, il leur avait enlevé une part d'eux-mêmes. A Noir, il avait tout emporté avec sa disparition. A Noir, ne restait que le vide. A Noir, ne restait qu'un gros trou béant à la place de son coeur, à Noir ne restait qu'un vide qu'il tentait de combler par tout les moyens, un trou noir qui semblait aspirer tout sur son passage.

Noir n'avait jamais été triste ; Noir n'était pas triste. Noir était devenu vide. Noir était l'ombre de lui-même, la peau blanche comme du papier et le violet de ses veines qui se mêlait au violacé de ses cernes. Le poids du monde qui lui pendait lourdement au cou, lui courbait l'échine, ses mains tremblantes sur sa tasse de café noir, solution éphémère à ses nuits blanches, ses nuits de larmes qui rougissaient ses yeux.

La flamme de la vie qui brûlait derrière son regard de jais avait été emportée ; Blanc, étendant ses ailes, avait éteint le fragile flambeau qui tenait Noir encore sur pieds.

« La personne qui souffre le plus, c'est Blanc, répéta Jaune avec la voix qui lui mourait dans la gorge. »

Bleu vit Rouge.

Il venait de s'asseoir. Les poings maculés d'écarlate, qui épousaient les bleus violacées de ses phalanges. La mâchoire contractée.

Il ne parla pas. Personne ne parla.

Personne ne voulait plus parler. Tout le monde voulait juste partir. Les états d'âmes des couleurs peuvent parfois être bien noirs.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2021 ⏰

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les états d'âmes des couleurs.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant