Chapitre 1 (suite 2)

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Le grain de l'enveloppe crissait sous ses doigts. Victorien caressait le papier, traversé à la fois du stress latent de sa nouvelle situation, et de la déception de tenir encore cette lettre entre ses mains. Assis sur son lit et adossé contre le mur, il songeait qu'il n'aurait guère plus d'occasions de la donner.

Elle n'est même pas affranchie, je n'ai pas non plus l'adresse, et je ne peux pas la demander à Altéa. Ce serait ridicule. Allo, Altéa ? Tu peux me passer l'adresse de Léo ? Je voudrais lui envoyer une lettre. Non, ridicule.

Victorien songea avec regret que plus personne ne correspondait sur papier, et il trouvait cela bien dommage. Il fourra l'enveloppe non scellée dans son sac, au cas où il lui aurait pris l'envie de se relire. Il s'en avait pourtant incapable. Ses pensées s'étaient étalées sur le papier, sauvages, sur un coup de tête.

Ou un coup de cœur. Va savoir...

Et maintenant, les mots attendaient, coquilles d'encre vides de sens, tant qu'elles n'atteindraient pas leur destinataire.

Et même si j'avais le courage d'envoyer ça... est-ce qu'il la lirait ? Lui qui n'aime pas vraiment lire. Et surtout vu comme tout ça s'est terminé...

Victorien déglutit, ses yeux cherchant l'enveloppe perdue entre un cahier et un paquet de feuilles grands carreaux. Les souvenirs frais de cet été surgissaient de nouveau sans qu'il ne puisse empêcher les images de ses derniers instants à Toulouse de tourner en boucle dans ses pensées. Il soupira de malaise. La joie durant quelques semaines, puis la chute. Brutale. Terrible, inévitable cependant, car le mensonge ne survivait que rarement face à la vérité. Victorien l'avait appris à ses dépens. Alors il acceptait la colère ; du moins, lui avait laissé le temps nécessaire jusqu'à présent. Contrairement à ce qu'il espérait, la distance n'effaçait en rien le goût amer de la tristesse et de la culpabilité.

— À taaaable ! hurla Isabelle depuis le bas de l'escalier.

Victorien sursauta. Son colocataire, en revanche, ne bougea pas d'un cil. Allongé dans son lit, l'ordinateur sur ses cuisses, ce dernier regardait une série, les écouteurs vissés dans ses oreilles. Il tapotait sur le clavier de son téléphone de temps en temps sans vraiment sembler s'intéresser aux images qui défilaient devant lui. Les deux garçons n'avaient rien échangé depuis que Victorien s'était présenté et aucun n'en ressentait l'envie.

Victorien se demanda si son inconnu de colocataire avait ou non entendu l'appel. Ce garçon devait bien connaître les règles de la maison, et comme il ne prenait même pas la peine de répondre lorsque quelqu'un toquait à la porte, Victorien n'intervint pas. Aussi, se leva-t-il de son lit et prit-il le soin de placer son téléphone portable en silencieux avant de quitter la chambre.

Dans la cuisine, il aperçut le mari d'Isabelle. L'homme lui tournait le dos, si bien que Victorien ignorait s'il devait se présenter ou attendre que lui le fasse. Il fixait les deux tabourets non occupés, se demandant bien lequel lui était attitré, quand Isabelle intervint.

— Ben assieds-toi. Tu vas pas manger debout !

Elle versait un épais potage dans les assiettes creuses quand il osa enfin s'avancer et prendre place sous l'œil attentif du mari.

— Bonsoir, marmonna-t-il d'une petite voix.

— B'soir. Victorien c'est ça ? Sébastien, enchanté.

— De même.

Il sentit un regard curieux posé sur lui, mais fit semblant de l'ignorer.

Quoi ? C'est bien « de même ». Ce n'est pas bizarre. J'aurais pu dire « pareillement »...

La Lumière noire - (L&V) T.1 + T. 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant