Prologue

5.4K 509 390
                                    

Le néon grésille au-dessus de ma tête. Je le vois malgré la fatigue qui m'empêche de garder les yeux ouverts. Je l'entends également. Je ne devrais pas l'entendre. Pas plus que ça. Pas au milieu du reste. Le tube produit un cliquètement électrique, mais ça ne m'agace plus. Entre la seringue auto pulsée capricieuse qui bipe à la moindre bulle d'air et le chuintement incessant de l'oxygène qui m'emplit le corps, mon ouïe s'est accommodée du moindre bruit. Contre toute attente, je me suis habitué à l'oxygène, à ce tuyau de plastique souple que j'ai dû trainer partout jusqu'à ce que ce soit lui qui me traine. Petit à petit, je me suis habitué à ce corps qui ne veut pas vivre, ou en tous cas, qui n'est pas fait pour. Les traitements médicaux eux-mêmes abdiquent. En bout de course, mon corps me fuit, et je suis seul témoin ici de cette lutte infernale : cette coquille presque vide qui rejette la vie, ces traitements qui la lui insufflent de force. En vain.

J'en suis là. À ce stade où la vie chimique, la vie artificielle, abandonne contre ce que la nature impose. J'ai souvent entendu dire qu'il ne faut pas forcer, que la nature est bien faite, et je crois bien que mon esprit s'est accommodé de ça aussi. Aujourd'hui, j'abandonne. Je n'ai aucune raison de lutter. À vrai dire, rien ne me retient. J'ai terriblement envie de pleurer, mais là non plus, rien ne vient. La terrible angoisse de ce néant sombre pèse sur ma poitrine et bloque toute autre émotion. Je vais mourir. Je sais que je vais mourir. Je le sens.

Je ne suis pas fait pour vivre. Je ne l'ai jamais été. Depuis ma naissance la nature ne veut pas de moi. Mes parents ne voulaient pas de moi. Mon corps non plus, depuis le début. À présent, il me lâche comme tout le reste m'a lâché. Je suis seul. Et ça ne m'a jamais gêné. Jusqu'à cet instant. On ne nait pas seul. Alors je trouve injuste de mourir seul. Injuste, mais pas impossible. J'en suis la preuve mourante. Allongé sur le brancard, j'entends mon coeur qui tambourine. Je crois qu'il essaye de me prévenir. Je crois que même s'il fuit la douleur de la vie, mon corps s'affole. J'ai peur comme je n'ai jamais eu peur. Je suis incapable de parler, de bouger. Du moins, je le crois, même si mes bras trémulent sous l'impact de la monstrueuse anxiété. C'est normal d'avoir peur de partir, je me rassure. Surtout quand on est seul. Tout le monde a peur. Mais tout le monde part. Un jour ou l'autre. Maintenant c'est mon tour. Plus tard sera celui d'un autre. C'est ainsi.

Je ne peux m'empêcher de penser que la vie est amère, qu'elle ne m'a, dès le départ, laissé aucune chance. Mais je sais bien que cela ne mène à rien. Je respire à peine, paniqué. Mes paupières lourdes se ferment malgré moi et à travers leur obscurité, je cerne encore le néon qui grésille. Soudain, je ne l'entends plus. Le néon a lâché. Et c'est la lumière noire. Alors je décide de lâcher prise à mon tour. C'est seul que j'abandonne. J'abandonne mon corps avant que lui ne le fasse. Je n'ai que cette consolation-là.

Alors, pour la toute première fois, j'accepte lentement de perdre. Pour la toute dernière fois, dans le silence d'une souffrance qui ne m'a jamais lâché, la lumière noire s'abat. Et je ferme les yeux sur mon corps malade.

La Lumière noire - (L&V) T.1 + T. 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant