Il s'approche de l'unique fenêtre de la chambre, y jette un œil, voit un homme sur le trottoir d'en face et se colle au mur pour ne pas être repéré. Il ferme les yeux. Il doit se calmer. Ce n'est pas comme ça que la journée est censée se passer. Il s'éloigne de la fenêtre, s'assure que la chaise, le canapé, ou quel que soit le nom de ce foutu truc dans lequel on est censé s'asseoir, bloque bien la porte et s'assied sur son lit. Il respire trop fort.
D'une poche, il sort le paquet de cocaïne déjà ouvert, le pose à côté de lui. D'une autre, il extrait le matériel volé ; la cuillère, le bicarbonate, la seringue. Dans une troisième, il trouve un briquet. Dans le tiroir de sa table de chevet, un paquet de mouchoirs en papier, un antique cure-dents et une vieille enveloppe.Il aurait bien besoin d'un verre, mais ça devra attendre. D'abord il faut remonter, se sentir mieux.
Il tente de verser un peu de poudre sur la cuillère, mais ses mains tremblent trop et il en répand plus sur le couvre-lit que dans le couvert, alors il se refait un rail. Un peu de poudre sur le dos de la main, qu'il tasse avec la lame du couteau, il ressort le billet et roule Raoul.
Il lui faut quelques minutes avant de ressentir les effets, cette fois, mais quand il se sent remonter, il se relève, va jusqu'à la fenêtre et effectue un petit mouvement de danse en voyant que l'homme a disparu.Revenant au lit, il tire une chaise à lui, s'y assied et se met au travail. Baser va lui prendre un peu de temps, surtout qu'il ne l'a jamais fait lui-même. Et vu ce qu'il prépare, il va lui falloir pas mal de matière première. Dans la cuillère, il mélange la coke et le bicarbonate, ajoute un peu d'eau, fait bouillir avec le briquet, touille avec le cure-dents, absorbe le surplus avec le mouchoir en papier, pose le caillou ainsi formé sur l'enveloppe en papier trouvée dans sa table de chevet, nettoie la cuillère et recommence.
Il répète ses mêmes mouvements 20, 30, peut-être 40 fois. Il en a assez, enfin, il l'espère. Au pire, il utilisera la poudre pure pour terminer le boulot. L'opération a duré longtemps et il n'a pas l'impression d'avoir vraiment profité de sa dernière dose. Il pense en reprendre tout de suite, se dit qu'il devrait attendre un peu. Il a quelque chose à faire avant.
Dans un sac en plastique, celui qui recouvre normalement son verre à brosse à dents, il emballe les cailloux, les empoche. Ensuite il range tout le reste du matériel dans ses nombreuses poches, il en aura besoin plus tard. La fatigue commence à le rattraper, mais il secoue le couvre-lit, repousse la chaise, le canapé, ou quel que soit cet objet immonde, et il sort.En traversant le couloir du rez-de-chaussée, il tend l'oreille et le cou dans l'espoir d'avoir des nouvelles de la salle de détente, mais celle-ci est incroyablement calme. Les cinq vieux camés ont dû être raccompagnés dans leurs chambres. Sauf Marie. Elle, est peut-être encore à l'infirmerie. Au moins, aucune ambulance n'a été appelée, ça aurait pu très mal tourner pour lui, sinon.
En passant devant le bureau d'accueil, la surveillante lui demande :
— On ressort faire un tour, Mr Waterloo ? Ne traînez pas trop, les festivités commencent tôt ce soir.
Il lui sourit, lui promet de ne pas être en retard. Elle fronce les sourcils, pas habituée à une telle amabilité. Il se traite d'abruti. Depuis quand est-il aimable comme ça ? Ne pas attirer l'attention, c'est se comporter comme tous les jours, pas comme un imposteur. Mais il a eu peur qu'elle ne le laisse pas ressortir. Hors, il a définitivement et formellement besoin d'un verre..
Sur le chemin qui le mène à la supérette, il ne pense qu'à sa prochaine dose. Et à ce qu'il prépare pour ce soir. Un merveilleux cadeau de Noël que tous ces vieux débris et ces foutues harpies ne méritent clairement pas. Mais il est comme ça, George, un bien brave gars qui donne sans rien attendre en retour. Puis bon, sans ça, la soirée sera aussi festive qu'un enterrement, alors il n'a pas trop le choix s'il veut éviter de passer le pire moment de l'année.Dans la boutique, c'est encore la gamine qui est à la caisse. Quand il pose ses trois bouteilles de whisky devant elle, il remarque, sur un présentoir vert et rouge absolument gerbant, quelques ustensiles étonnants qu'il n'avait jamais vu jusque-là. Il tend mollement la main dans leur direction.
— C'nouveau, ça ?
Elle lève à peine les yeux de son magazine, confirme d'un reniflement. Ou du moins, George prend-il ça pour une confirmation, mais peut-être la fille est-elle juste enrhumée.
Il prend une pipe en verre sur le présentoir. Elle n'est pas d'une qualité folle et elle s'adresse plutôt aux gamins qui veulent jouer aux grands. D'ailleurs, les autres produits sont du même acabit, feuilles à rouler, filtre, boites à clopes avec une feuille de marijuana dessinée dessus. Tout ça est cliché, un peu cucul, et malgré tout absolument légal. George rajoute donc la pipe sur le comptoir. La fille scanne le tout, empoche son argent et lui range ses affaires dans un sac en kraft plus grand que celui du matin, qu'il a d'ailleurs toujours dans une poche, mais qui ne renferme plus rien venant du magasin. Quand elle tend son sac à George, celui-ci sort une bouteille du sac avant d'emporter le reste. Il la pose devant elle, se retourne et, alors qu'il se dirige vers la sortie, lui lance un :
— Joyeux Noël !
Qu'elle la boive ou qu'elle se la fasse rembourser, comme elle préfère. De toutes façons il lui a laissé le ticket de caisse.
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L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)
Short Story25 jours de nouvelles, souvent terrifiques, sur le thème de Noël, de l'hiver, de l'avent. Avec de vrais morceaux de psychopathes, de vampires, de zombies et de p'tits vieux. Des nouvelles tantôt trash, tantôt gores, tantôt amusantes. Peu de guimauv...