Son absence d'expérience avec les mineurs était flagrante.

Elle se rendit compte qu'elle ne connaissait toujours pas le nom de son interlocutrice et décida de débuter par-là.

— Comment t'appelles-tu ?

— Erzsébet. Ce n'est pas commun, on m'appelle Bet en général.

— Moi, c'est Alaia. Tu... depuis quand es-tu à la rue ?

Tandis qu'elle se servait à manger, Bet haussa les épaules dans un mouvement qui trahissait la faiblesse de son corps malingre.

— Un peu plus d'un mois. Quand ma dernière maman est décédée.

La phrase et le ton employé éberluèrent Alaia.

— Ta dernière maman ? répéta-t-elle.

Bet hocha la tête, puis chuchota :

— Tu garderas le secret ?

— Bien sûr.

— Ce n'était pas ma vraie maman. La vraie, je l'ai perdue il y a très longtemps.

— Je suis désolée.

Ses lèvres se pincèrent entre elles. Le sort aimait s'acharner sur certains.

— La dernière, ajouta Bet, c'était une protectrice avant qu'elle ne commence à... Une protectrice. Elle m'a sauvée d'un vampire et n'a plus voulu que je parte de chez elle. Un jour, elle m'a dit que je lui rappelais son fils. Il est mort lui aussi – je suppose que c'est à cause d'un Dents-Longues, car elle détestait en parler.

Un soupir lui échappa.

— Elle me manque.

Alaia s'assit et se pencha vers elle.

— C'est normal. Ma mère me manque souvent.

— Elle est morte ?

Elle acquiesça.

— Il y a quatre ans. Nous vivions toutes les deux chez son frère. Malheureusement pour moi, il ne m'aimait pas trop et, après son décès, il m'a demandé de partir. Je dois me débrouiller, un peu comme toi.

— Sauf que tu as une maison.

Innocente, la remarque ne la rendit pas moins gênée tant elle était justifiée.

— Tu as raison, admit-elle d'un ton rauque.

Elle attrapa ensuite une biscotte et la confiture et, dans un semblant de normalité, entreprit de grignoter à son tour.

Les papillons de l'angoisse s'agitaient au creux de son ventre. Que déciderait-elle une fois que Bet aurait terminé son repas ? Elle ne pouvait décemment pas la mettre à la porte ! Que lui annoncerait-elle ? « J'espère que tu as rempli ton estomac, au revoir, méfie-toi des monstres » ?

Alaia se mordit la langue. Garder Bet ici était impensable. Elle n'avait ni les compétences requises pour l'élever ni les moyens de lui assurer un avenir serein, d'autant plus qu'elle soupçonnait que si Rolzen apprenait qu'elle hébergeait quelqu'un, il lui demanderait une compensation pour continuer à se prétendre propriétaire de son appartement ou exigerait que Bet « intègre » sa clinique sitôt qu'elle en aurait l'âge...

— Tu as un endroit où aller ? De la famille ou des connaissances à rejoindre ?

— L'amie de ma dernière maman n'a pas désiré m'adopter. Elle...

La voix de Bet se brisa.

— Oui ? l'encouragea Alaia avec douceur.

— Elle m'a reproché d'être méchante.

Mal à l'aise, la jeune femme lui sourit dans l'espoir de la réconforter.

— Tu m'as pourtant l'air d'être une adorable petite fille.

— Elle affirme que c'est à cause de moi que Dalia est sous terre. Elle aurait aimé me chasser de chez elle et la pousser à s'éloigner de moi, à me détester.

Alaia en demeura muette, sidérée. Qui assénait des propos pareils à un enfant ? Elle avait beau s'estimer dépourvue d'instinct maternel, elle ne se permettrait jamais d'en culpabiliser un ainsi.

— Je suis sûre que ce n'est pas vrai, murmura-t-elle.

— Je l'espère.

— Tu... tu aimerais autre chose à manger ?

Elle se morigéna pour sa proposition. Ses placards n'étaient pas extensibles ! Cependant, Bet secoua la tête.

— Non, merci. Vous avez déjà été très gentille avec moi, madame.

Son cœur se serra ; malgré ce que lui hurlait son sens pratique, Alaia devina qu'une seule solution s'imposait.

— Bon. J'imagine que je possède de quoi te construire un lit d'appoint dans mes affaires. Si tu le souhaites, reste ici un petit temps.

La dernière mamanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant