Chapitre 23 - Prise de contact

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Le visage d'Eon disparut pour laisser place à la représentation miniature d'un personnage vêtu d'une longue toge pourpre et paré d'une aumusse indigo. L'homme était âgé, à la peau ridée et aux traits extrêmement sévères. Il avait les mains posées sur son pupitre et s'adressait à ce qui semblait être l'auditoire du conciliat, la plus haute instance démocratique du système solaire, bien même au dessus de l'Empire.

« De tous temps (clamait la retranscription holographique) l'humanité a été porteuse des progrès sociaux et des avancées technologiques considérables. Nous ne pouvons et ne devons laisser des espèces inférieures entacher le cours de l'histoire en sabordant l'évolution du vivant.

« S'il n'est pour aucun d'entre eux utile de croire en notre projet commun, s'il n'existe aucune négociation possible, alors la seule direction que nous devons prendre est celle de la sanction punitive capitale. Les insectoïdes n'ont jamais – et ne vont jamais – s'intégrer à nos sociétés, il est temps de s'en rendre compte.

« Les attaques subies par les civils et les scientifiques des stations dans tout le système démontrent le caractère belliqueux de ces terroristes. Jamais il ne leur sera possible d'épouser nos dogmes. De respecter nos valeurs. Respecter les valeurs de l'Empire. Il est temps de mettre fin à cette supercherie.

« Il est temps, je vous le dis, de chasser ces barbares de nos mondes ! »

L'intervention se termina par un tonnerre d'applaudissement dans l'hémicycle. Steen regardait, effaré, les bancs des soutiens à la personnalité. Il s'agissait bien évidemment du tiers impérial, mais il dénotait également quelques syndiqués. Le tiers confrérial observait le silence, comme toujours dans les plénières. La bouche ouverte, il passa deux doigts de chaque côté de ses lèvres, de haut en bas, comme pour se dégourdir la mâchoire.

« Et bien ! Comment peut-on proclamer des atrocités aussi graves et être applaudi sans que cela ne choque personne ?

– L'ère du temps, j'imagine (lui répondit l'Intelligence). Les sociétés sont toujours changeantes. Lors de la posthistoire, les peuples se séparaient par la simple couleur de peau et les frontières étaient symbolisées par des zones géographiques.

– Oui enfin, c'était il y a des millénaires. Cet ecclésiaste est dangereux, ça me rend fou !

– D'un autre côté, les noptères sont devenus incontrôlables. De nombreux conflits ont éclaté dans la bordure et, si la société martienne n'est pas directement touchée, il est évident que des humains souffrent. »

Steen tiqua, claquant sa langue sur son palais. Il se massa la nuque frénétiquement. Un mal de dos commençait à se faire sentir. Sa nuit avait été longue et insomniaque.

« Combien de morts exactement ? Demanda-t-il, dans une curiosité macabre.

– On dénombre au moins 40 personnes décédées et plus d'une centaine de disparues. La cible la plus durement touchée est la station de Jokah Rhoa Ru, au coeur des troyens saturniens, avec 15 victimes. Bien évidemment, je n'ai pas besoin de vous préciser que les noptères sont carnivores. Les individus ont été sauvagement dévorés, rendant impossible toute récupération de leurs reste génomiques.

– (Steen poussa un cri de dégoût) Par les Saints Savants Fondateurs ! Dévorés ?

– Ingérés, engloutis... (Se répéta l'intelligence) Mangés si vous préférez.

– Je sais ce que ça veut dire Eon ! Mais enfin, cela ne serait-il pas un peu exagéré ? Je veux dire : en est-on sûrs ?

– J'ai bien peur que ces affirmations ne soient corroborées par trois entités scientifiques différentes, monsieur Kelter. »

Le martien soupira, secouant violemment la tête. Il était tiraillé entre l'idée de s'indigner et celle de comprendre jusqu'au bout des choses. Comment pouvait-on expliquer un tel comportement ? Après tout, la prédation était un phénomène naturel. Mais consommer des humains était le pire des crimes. Peut-être ces créatures n'avaient-elles pas leur place dans la société évoluée de l'Empire, au final. Steen se creusa les méninges, il voulait trouver une porte de sortie. Il chercha la station ciblée la plus proche de son cadran et la trouva rapidement :

« Dans les survivants de l'attaque sur Hallbearn, y a-t-il des personnes à qui je pourrais parler ? Des civils ou des scientifiques qui étaient présents sur les lieux ?

– Hallbearn est une station quelque peu dissidente, à tendance anti-impériale depuis les dernières années, je doute fort que vous ne soyez capable de discuter raisonnablement avec l'un de ses habitants. Mais... Oh !

– "Oh" ? Comment ça, "Oh" ? Depuis quand les Intelligences sont surprises par des choses ? Je vous prie Eon, pas de mimétisme comportemental avec moi, je sais que vous êtes une machine.

– Non monsieur, jamais. Cette fois-ci, j'ai réellement trouvé quelque chose en cherchant à travers les données. C'est beaucoup de travail, j'aimerais vous y voir. »

Steen leva un sourcil. C'est que l'Intelligence lui avait répondu brusquement, il ne s'y attendait pas. Etait-ce là ce dont étaient capables ces robots. S'il n'avait pas été éduqué à les discerner, si les lois – justement – ne les forçaient pas à se différencier des individus biologiques, nul doute qu'il aurait confondu une Intelligence Artificielle avec un véritable être humain.

« Uh... Bon, je vous écoute ?

– Il y a bien quelqu'un que vous pourriez contacter, mais les informations que j'ai semblent se contredire. Il s'agirait d'un membre de l'Institut Scientifique Aérospatial, chargé des récoltes génétiques sur des populations sanctifiées de la Terre.

– Quoi ? On pratique encore l'extrait de gènes sur des terriens ?

– Mars, non. Hallbearn, et d'autres station, il semblerait.

– Bien (soupirant, il reprit), et où se trouve ce scientifique ?

– C'est cette information que je n'arrive pas à avoir. D'après les trajectoires de vol, il devrait se trouver ici, sur Newscew. Or, je n'arrive pas à trianguler son transpondeur. Ce dernier aurait émis à quelques kilomètres du Thronarium, en plein Syrtis Major.

– Un scientifique chez les Arésien ? Étrange, je croyais les Arésiens plutôt cléricaux.

– En effet, c'est étrange. Mais il y a encore plus curieux.

– Décidément Eon, vous savez cultiver le mystère. Commenta Steen ironiquement.

– Ce scientifique aurait essayé de contacter la Législature il y a de cela quelques jours. Une réponse d'un de mes homologues a été programmée pour la fin de semaine. Il aurait demandé une audience pour, je cite : "Recevoir des revendications sociétales de terriens".

– Des terriens avec un membre de l'ISA ? Mais... ça ne veut absolument rien dire Eon ! Les terriens sont en protoscience, ils ne savent même pas que nous existons. S'insurgea l'impérial.

– Et pourtant...

– Très bien, contactons-le. Peut-être pourra-t-il nous aider à déficeler cette affaire de Noptères en échange de cette drôle d'audience.

– Comme vous voulez.

– Et au fait, comment s'appelle-t-il ?

– Il s'agit du scientifique Physal. Marcus Physal. »

Le Dernier EmpireWhere stories live. Discover now