Chapitre 28

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Reprenant un peu conscience de la réalité, je m'extirpe de ma longue conversation avec mon frère en ouvrant le message que Chloé m'a envoyé pendant que j'étais au téléphone :

Tu dois sûrement être sur le départ. Merci encore, Charly, vraiment. Je te mets l'adresse et les instructions d'itinéraire dans le prochain texto. Pas besoin de t'arrêter manger en route, il y aura de quoi faire pendant tout le tournoi. À tout à l'heure.

Elle m'a écrit à 9h52. Pourquoi serais-je déjà en train de partir à 9h52 ? Et pourquoi est-ce que je voudrais m'arrêter en route ? Sentant venir l'embrouille, je sors mon GPS et entre l'adresse.

– DEUX HEURES CINQUANTE ?!

Elle se fout de ma gueule ? C'est mort, je n'y vais pas c'est trop loin.

Je regarde à nouveau le GPS et peste dans ma barbe.

Fait chier !

Je ne peux même pas annuler, elle pourrait croire que je déclare forfait, car je suis nulle. Bon sang, qu'est-ce que je ne ferai pas pour ma fierté de merde !

Je file sous la douche puis rassemble mes affaires en troisième vitesse. L'avantage de râler ? Ça ne prend pas de temps supplémentaire. Je m'entends donc bougonner du début à la fin du processus jusqu'au moment où, enfin, j'appuie sur la pédale de l'accélérateur.

Je me gare à 13h18 – j'ai fait du mieux que j'ai pu – à côté d'un vieux hangar en pierre. La bâtisse pour le moins imposante, malgré une réfection évidente de la façade, me donne l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. Chaque pierre apparente, dont chacune est différente, semble chargée d'histoire. Mon esprit se met à vagabonder à la recherche de ce qu'a pu traverser ce bâtiment, mais je me rappelle à l'ordre : je suis en retard.

Une banderole blanche en tissu est accrochée au-dessus de la double porte en bois pour annoncer, en lettres colorées et peintes à la main, l'Inauguration du Nouveau Boulodrome.

À côté de moi, l'archétype de l'agriculteur avec son cure-dent au coin de la bouche et son béret à carreau semble attendre un couple sortant de la boulangerie d'en face. La vieille dame, légèrement courbée, se tient au bras d'un petit monsieur dont le crâne est largement dégarni.

J'entre dans le hangar en grimaçant, m'imaginant ressentir la même chose que si je pénétrais dans une maison de retraite. Mais encore une fois, mes préjugés m'induisent en erreur. Au milieu du grand espace chauffé, où s'alignent plusieurs pistes de sable, un melting-pot générationnel s'agite. Je scanne la foule, et contrairement à mes présomptions, je ne fais pas partie des plus jeunes, les personnes âgées ne remplissant qu'un tiers des quotas.

Bon, ce n'est pas tout ça, mais une paire de noisettes m'attend.

Un brouhaha désordonné emplit l'espace tandis que j'essaie de repérer Chloé. Je localise sans peine son rire cristallin et m'en vais la saluer.

– Tu aurais pu prévenir que c'était à dix mille kilomètres ton truc.

– C'est ce que j'ai fait.

– Je n'avais pas compris ça, en tout cas. Sinon je ne serai clairement pas venue, ajouté-je intérieurement.

– Et tu acceptes des trucs comme ça, sans plus d'informations, toi ?

La voix émanant du microphone me permet d'éluder cette question qui aurait inévitablement résulté en un étalage gênant de ma naïveté.

Un homme joufflu, dressé sur une petite estrade, nous offre un court discours de bienvenue et se lance dans un rappel des règles de la pétanque. Je l'écoute d'une oreille en observant de mes deux yeux ma voisine dont toute l'attention est prise. Sa tenue est des plus simple : un vieux jean usé aux poches et délavé aux genoux, surmonté d'un pull violine. Outre le fait que j'ai cette couleur en horreur – si tant est que l'on puisse appeler cela une couleur, ce pull doit faire au moins trois fois sa taille. Et à y regarder de plus près, il semble être tricoté en poils de yak. Mais je n'ai pas le temps de chercher un moyen de la chambrer, puisque sur son gabarit réduit, évidemment, ça rend très bien ! Ses cheveux blancs sont tirés en une queue de cheval dont quelques mèches folles s'échappent à cause de l'électricité statique. Ça lui donne un petit air farouche qui me plaît beaucoup.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant