CLEF DE FA.

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Je m'étais toujours demandé pourquoi je n'avais pas partagé cette amour et cette obsession avec Ana, après tout dans ce genre de moment je me rends compte qu'on a envie de déclamer sur les toits ce qui nous arrive, de l'exhiber, mais j'étais de nature très réservée, timide, et...

-De toute façon, les musiciens c'est comme les marins. Une femme dans chaque ville... Vermine.

Et Ana avait des avis aussi tranchants que des lames de rasoirs qui ont le dont de vous glacer le sang. La jeune slave ne voulait plus s'arrêter de critiquer Abel, dans les moindres moments de pauses que nous laissait l'opéra. Assise en faciale, la tête posée sur mes mains, je l'entendais sans l'écouter. Cela faisait une semaine que j'attendais un message de Yuri, un signe, une date, un lieu, mais rien.

-Dans mon pays, on a un nom pour ces types-là, crois-moi sa mère doit avoir les oreilles qui sifflent.

Je me demande qu'elle sera sa réaction quand on se retrouvera nez à nez, va-t-il vraiment me reconnaître ? Et puis cette chanson, pourquoi a-t-il joué Layla ! Alexandranova Yurkatsev, la chorégraphe principale du corps de ballet nous appela pour commencer. Mes muscles sont douloureux, mes pieds en sang, mais rien ne me rappelle plus la douleur que ma tête qui est sur le point d'exploser. Même si une partie de moi est soulagée d'avoir renoué avec Yuri, l'autre partie ne peut s'empêcher de se ressasser les pires scénari. A la fin de la journée, je fus forcée de reconnaître que je n'avais toujours rien reçu, et qu'il y avait de fortes chances que je ne reçoive rien. A quoi je m'attendais en fait ? Ce type ne sait rien de moi, pas plus que j'en sais sur lui. Mais un profond pré-sentiment me hurlait de m'accrocher, de ne pas abandonner si proche du but ultime, oserais-je dire de ma vie ? Je soupirai en détournant mon regard du petit carré métallique et croisai le regard d'Ana, réprobateur. Je tentais de hausser les épaules, mais cette dernière comprit que je vivais mal la situation. C'est une délicieuse torture, à la fois si proche, et aussi si loin du but.

-Mais bon sang Layla, tu t'attends à quoi à la fin ?

-Je ne sais pas, mais je le veux lui ! Comme avant.

-Ça ne sera jamais comme avant, tu n'es plus une enfant et ce n'est plus le pianiste qui vivait au crochet des cachets de ton père. Cet homme est peut-être marié et a surement des enfants, je te rappelle qu'il a quand même plusieurs années de plus que toi ! Et après tout ce qu'il a vécu...

Pas forcément, nous avons évolué lui et moi c'est vrai, et heureusement d'ailleurs, car tout mon être le réclamait lui d'une manière beaucoup plus forte et adulte qu'avant.

-Tu te trompes Ana, je sais qu'on pourrait être ensemble.

Je tentais bec et ongle de défendre mon amour inconditionnel pour cet homme, que je connaissais pourtant si peu, mais je sentais que j'étais à court d'argument. « Je l'aime » n'était clairement pas suffisant, et je sentais ma ténacité s'ébranler au fil des attaques de mon amie slave. Elle s'apprêta à m'asséner le coup de grâce quand mon téléphone sonna. Je ne réussi pas à l'attraper à temps et découvrais un message vocal... De Yuri. Il jouerait demain dans une salle derrière l'opéra avant de repartir en tournée en Amérique du Nord. C'était ma dernière chance de le voir.

-Ni pense même pas, c'est le jour de l'audition de Gisèle. Ton avenir est dans ce ballet, pas avec lui.

Même heure, même endroit, évidemment... Pourquoi me fais-tu ça Abel ? C'était à la fois mon trépas et ma chance. Trépas car je souffrirais si je ratais l'un des deux. Chance, car je n'ai jamais dansé avec plus de passion que quand je l'avais dans ma vie. Quoi de mieux que le frisson d'un amour dévastateur pour transmettre à travers votre corps le feu des émotions humaines ? 

Pas de deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant