7. Enchanté·e

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« Tu vois là, des paillettes, des chapeaux, des vêtements que personne d'autre ne mettraient dans la rue... Et le tout coincé dans une chambre de bonne ? »

Le journaliste regarde, un peu ébahi, le fourre-tout dans lequel il vient d'entrer. Il essaie aussi de retenir un éternuement. Il est un peu allergique à la moisissure, et ce... machin qui n'a de chambre que le nom en est rempli.

« Comment veux-tu qu'on ne se prenne pas pour des sorcières ? Des fées ? »

Son hôte tire un petit tabouret de sous un guéridon recouvert de maquillages. Il l'époussette un peu et lui offre. Lui s'assoit par terre. Il a dix-sept, dix-huit ans ? Pas beaucoup plus. Et ses yeux brillent.

Le journaliste, lui, n'était venu là que pour faire un article merdique sur le monde de la nuit. Son rédacteur en chef, qui lui doit déjà trois piges de salaire, va adorer. Sauf que maintenant il est dans la 4ème dimension. Ou dans la caverne de la Rose d'Or.

« Tu sais qu'à New York, on nous appelait les fées ? Fairies... »

Il a un très mauvais accent anglais. Le journaliste se souvient que le gamin a quitté l'école tôt, qu'il n'aimait pas ça. Pas les cours non. Mais tout le reste. Le harcèlement. Les parents. L'autorité. Tout. Rien. Il ne parle pas bien anglais.

« Mais je sais faire comme si ! »

Il parle à trois mille à l'heure. Lui a l'enregistreur de son portable allumé depuis des heures, il a l'impression. Peut-être pas plus de dix minutes en fait. »

« Des fées ! Nous sommes des fées. On apporte de l'amour et le syndrome de Peter Pan aux gens. Comme Clochette. »

Il l'imagine bien, là, sur son coussin défoncé, sur un plancher qui en a vu des meilleures. Il ne porte plus son jean déchiré ni son tee-shirt à un euro acheté à Barbès. Non, il a de longues jambes fuselées, rasées de près et brillantes, un maillot vert, où il a accroché au pistolet à colle des pans de papiers crépon vert. Il porte une perruque à chignon blond sur son crâne rasé. Ses grands yeux verts sont maquillés aussi, bien entendu. On ne voit plus sa barbe naissante sous le fond de teint.

Il l'imagine si bien.

« Des fées alors ? Comment dois-je vous appeler ? »

Le journaliste est passé au vouvoiement. On tutoie les petits homos de Paris, oui, surtout quand on est journaliste, diplôme e poche, sans le sou et tellement impatient de traiter les plus pouilleux que soi comme de la merde.

Mais on vouvoie les sorcières.

Elle, c'est encore une apprentie. Dans sa chambre moisie, avec ses vêtements achetés sur les sites de vente chinois, son maquillage du Lidl et ses chaussures payées à coup de pipes dans les boîtes de nuit.

Mais c'est une sorcière.

Une fée.

Une magicienne.

« Viviane, bien sûr. Viviane XTravagance. Ou From Paris. Je n'ai pas encore choisi. Il sort quand l'article ? »

Le journaliste ressort, redescend les huit étages de cet immeuble haussmannien, se retrouve sous la pluie.

Viviane From Paris fait un petit spectacle dans un bar pouilleux ce samedi soir.

Ce n'est pas encore une star.

Elle en a juste quelques paillettes et le pouvoir. Un tel pouvoir.

Il est déjà amoureux.

Les sorcières sont de sortie.

Writober 2019Where stories live. Discover now