3- Ava

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Après m'être engagée dans la zone industrielle où siège mon nouveau bureau, je contourne un entrepôt de stockage et rejoins le bâtiment qui abrite mon entreprise. Nous avons récemment quitté notre petit local du centre-ville pour profiter de plus d'espace dans cet ancien atelier de mécanique. Du dehors, il ne paie pas de mine avec sa façade grise sans fenêtre. C'est voulu. Pas de visiteurs impromptus. Ceux qui viennent jusqu'ici ont été recommandés et ne peuvent pénétrer dans l'agence qu'à la condition de présenter une carte qui leur a été remise.

J'ouvre avec ma clé et passe à côté de la petite plaque de cuivre gravée du nom de l'entreprise, « VertiG ». Il faut avoir le nez dessus pour la déchiffrer.

L'intérieur est beaucoup plus accueillant que l'extérieur : du côté du fleuve, de larges ouvertures permettent d'admirer les eaux sombres. Le toit de l'édifice a été remplacé par une verrière qui inonde l'intérieur de lumière. Le rez-de-chaussée est constitué d'une seule vaste pièce dallée de lave noire ; il est quasiment vide. À l'entrée, à droite, seul îlot de couleur sur cette étendue sombre, se trouve le bureau de Betty. Un arc-en-ciel au milieu d'un orage. Mais ma secrétaire et associée n'est pas là aujourd'hui, elle assure la permanence téléphonique depuis son domicile.

Je monte l'escalier de la mezzanine où j'ai aménagé mon coin. Mon bureau tout d'abord, fonctionnel, à la déco épurée, avec une paroi vitrée qui donne sur le rez-de-chaussée ; un espace séparé près des fenêtres avec quelques fauteuils ; et enfin, une pièce attenante où j'ai installé des appareils de musculation et un vestiaire.

Mon univers.

Je me saisis en vitesse du dossier que je suis venue chercher, puis retourne à ma voiture.

***

Au bout d'une heure et après un repas léger que j'ai à peine touché, calée sur la chaise en métal d'un petit bistrot où j'aime déjeuner, j'observe un homme séduisant installé à quelques tables de moi et j'attends.

Un indice. Un signe qui me déciderait à franchir l'espace qui me sépare de lui. Plus je le regarde, plus je me dis qu'il n'est pas seulement séduisant : il est canon. Un mannequin de papier glacé habillé d'un costume coûteux qui se serait échappé des pages d'un magazine pour avaler des lasagnes à la brasserie du coin.

Un profil comme ça, je n'en ai pas dans mon panel d'accompagnateurs. Certains sont beaux, c'est vrai, mais lui évolue à un tout autre niveau. C'est un dieu parmi les mortels. Je le contemple depuis qu'il a traversé l'établissement d'une démarche féline avant de s'asseoir près de la fenêtre : le prédateur dans toute sa splendeur. Cet homme contrôle chaque particule de son somptueux corps et a parfaitement conscience de ce qu'il provoque chez les femmes. Mais à la différence de toutes celles qui sont présentes dans ce bistrot, mon intérêt est purement professionnel. Même si mater son fessier musclé n'est pas désagréable.

Je ne m'occupe pas des recrutements d'habitude, même s'il m'arrive d'en envisager. Quand j'ai créé VertiG, j'ai imaginé le meilleur moyen de dénicher à la fois des clientes et des employés potentiels : m'adresser à ceux à qui l'on confie parfois nos vies sans les connaître. Je travaille en collaboration avec quatre d'entre eux (une vendeuse, une barmaid, un coiffeur et une manucure), et tout le monde y trouve son compte. En échange d'une commission, ils sont mes yeux et mes oreilles.

Aujourd'hui, VertiG tourne bien. J'ai une quinzaine d'accompagnateurs aux profils variés pouvant couvrir de nombreuses requêtes. Cependant, le recrutement reste un enjeu majeur, car le turn-over parmi mes employés est important. J'en perds couramment (études, offre d'emploi ailleurs ou déménagement étant des causes fréquentes de défection) et, l'agence commençant à être connue, je dois faire face à une multiplication des demandes.

VertiG  (sous contrat d'édition)Where stories live. Discover now