Épilogue hivernal

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Devant son petit bureau, Léo observait le ciel gris et pâlot du mois de décembre, mais ses pensées, elles, se trouvaient toujours dans les mois estivaux de Saint-Éloi-Surchamp - ou Saint-é, comme dirait son frère.

Une des choses qui le grimait le plus était de ne pouvoir raconter ce qui s'y était déroulé les premiers jours. La faute à cette promesse qu'il avait faite à M. Pascal.

Sans aucun doute, il avait vécu là les trois jours les plus fous et les plus intenses de sa vie. Le jeune homme n'avait en fait toujours pas réalisé à quel point il avait pu risquer sa peau.
Il faut dire que sa mémoire sélective avait bien fait son travail, seuls les meilleurs moments subsistaient.

Monsieur Lambert était la seule personne qu'il voyait encore. Léo avait eu la grande surprise de le trouver caché derrière un buisson de sa ruelle en plein après-midi, apparemment en train de chercher un volet de badminton. Ils habitaient en fait à deux rues l'un de l'autre. Les deux compères s'étaient donc revus à maintes reprises pour échanger quelques retours de raquette.
Ils s'étaient même mis au défi de remporter le concours du marché annuel de Noël dans leur quartier. Le premier prix à gagner était un litre de vin chaud à la cannelle.
Chose cocasse, Léo et Lambert détestaient le vin chaud.

Il ne faut pas croire qu'il n'avait pas tenté de garder le contact avec les autres, comme Monsieur Pascal et Camille. Étrangement, ces derniers ne lui avaient jamais répondu. Tant de lettres avaient parcouru la France pour les rejoindre, mais n'en avaient renvoyé d'autres dans les bras de Léo.

Son seul espoir était de s'inscrire de nouveau au programme pour l'été prochain. Chose déjà faite, car aussitôt rentré du village, le jeune homme avait harcelé ses parents pour renouveler l'expérience.

– Hé, petit morveux, l'interpella son frère.

– Hum ? fit le jeune homme, le regard toujours perdu dans le ciel gris.

– T'as reçu une lettre, ça vient de mon-

Léo lui arracha l'enveloppe des mains sans lui laisser la moindre chance de finir sa phrase.

– M Pascal... acheva l'aîné, et "merci" c'est pour les chiens ?

– Ouais ouais, merci, tu peux y aller, rétorqua Léo, en le chassant de la main.

– Trop aimable...

Le jeune homme ouvrit la lettre avec la plus grande des délicatesses, tout en essayant d'être le plus rapide possible. Bien sûr, étant donné l'adresse de Léo, l'enveloppe finit déchirée et déchiquetée dans tous les sens possibles. Finalement, il en sortit tout de même une lettre pliée en trois.

"Cher Léo,
J'espère que tu vas bien.
Déjà, je voudrais m'excuser de ne pas avoir répondu à tes multiples lettres. Ne t'inquiète pas, je les ai toutes reçues. C'est que ces derniers mois, beaucoup de choses ont bougé de notre côté. L'hiver, les monstres surexcités, les fêtes de fin d'année, nous n'avons pas vraiment eu le temps de nous ennuyer.
Camille me dit que le temps est rude à Saint-Éloi, le passage de Gregor a pas mal chamboulé l'écosystème et le climat de notre belle forêt de pin.
Imagine-toi notre petit village couvert de neige. Un spectacle magnifique, si seulement il n'était pas infesté par des créatures hostiles.
Pour ma part, je m'en vais pour la Bretagne, je vais essayer tant bien que mal de gérer une situation plus que critique. D'ailleurs, pourrais-tu s'il te plaît me prévenir par lettre si tu remarques que le nombre de corbeaux a augmenté dans ton quartier ? Simple précaution.

J'aurais bien voulu discuter plus longtemps avec toi, mais le devoir m'appelle.
Amicalement,
Pascal Colombe.

PS: garde précieusement la plume noire que j'ai jointe à cette lettre."

L'énigmatique M. Pascal avait beaucoup manqué au jeune homme. Bien qu'il n'avait pas saisi tous les tenants et aboutissants de sa lettre, lire ces quelques mots l'avait plongé dans un état d'allégresse. Il commençait à croire qu'on l'avait oublié ! Léo s'empressa de prendre une feuille et un stylo afin de répondre à son vieil ami.

"Bonjour Monsieur Pascal,
Je vais très bien, merci, je vois que vous avez beaucoup de choses à faire, il est vrai ! Il est vrai aussi que j'aurais voulu voir Saint-Eloi sous la neige. Pouvez-vous demander à Camille de me joindre une photo enneigée du village s'il vous plaît ?
Oui, cet hiver aussi est très rude chez nous, même à la capitale. Il a beaucoup neigé ces derniers temps, et il y a aussi un grand nombre de corbeaux ! Laissez-moi vous dire que je trouve ça assez étrange, mais j'aime beaucoup ces oiseaux-là, et j'apprécie également énormément la plume que vous m'avez donnée.
Je voulais savoir si vous aviez reçu mon inscription pour l'été prochain, je sais que nous ne sommes qu'au mois de décembre, mais il me tarde vraiment de retourner à Saint-Eloi ! Monsieur Lambert sera en plus lui aussi de la partie !
J'espère sincèrement que votre situation en Bretagne va s'arranger.
Bien cordialement,
Léo"

Alors que le jeune Léo pliait méticuleusement sa petite lettre, la plume que M. Pascal lui avait confiée se mit à vibrer tout doucement. Il en émanait comme des sortes de chuchotements, des échos lointains. Le jeune homme crut entendre la voix d'une femme, puis les pleurs d'un enfant.
Très vite, son bureau se mit à trembler à son tour, suivi par sa chaise, puis ses meubles, et enfin sa chambre tout entière.
À travers, le vacarme ambiant, Léo réussit l'exploit d'entendre sa mère le gronder. Elle lui criait l'équivalent de : "Léo arrête de sauter sur ce lit, tu n'as plus l'âge de faire ça ! Et puis tu vas me ranger ce bazar, demain, tu as cours à huit heures !"

– Mais maman ! Ce n'est pas de ma faute, là ! cria le jeune homme à travers le bruit.

Quand d'un coup d'un seul, les ténèbres envahirent la globalité de la pièce. Léo était dorénavant dans l'incapacité de voir le bout de son nez. C'était comme si on l'avait privé de sa vue. Un froid glacial pénétra les os du jeune homme, ses dents se mirent à claquer et sa gorge se trouva comme lacérée de part en part.
Et en un instant, tout s'évapora. Léo se retrouva sur le sol de sa chambre, à présent ensevelie sous la neige.

Vacances de merde [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant