45. Chemin de ronces

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Jungkook n'était pas le genre d'élève à potasser ses leçons pendant des journées entières. Bien qu'il lui était déjà arrivé dans le passé de les relire en diagonale, les veilles d'examens (question de principe), il ne leur avait jamais consacré autant d'énergie et de temps que Jimin pouvait le faire. C'était pourtant exactement ce qu'il faisait depuis deux semaines. Sans compter les heures, il s'abandonnait à ses livres de cours et à ses cahiers griffonnés, mettant à rude épreuve les nerfs de son entourage qui ne comprenait pas ce changement.

Certains voyaient un acharnement inutile et inquiétant, là où lui voyait un exutoire dont il avait désespérément besoin. Étudier lui permettait d'oublier temporairement ce qui le rongeait. Ainsi, il pouvait se couper du monde, mais surtout, de ses émotions. De toutes les occupations qu'il avait testées, c'était la seule qui avait su prouver son efficacité par son absence de stimulations émotionnelles.

Elle n'était pas infaillible, cependant. Cela dépendait de son niveau de concentration, qui fluctuait d'un jour à l'autre. Aujourd'hui ne faisait pas partie de ceux où il brillait d'assiduité. Depuis qu'il avait entamé ses révisions quotidiennes, aucune page de son livre de mathématiques n'avait été tournée et son cahier d'exercice n'était empli que des miettes de la gomme déchiquetée du critérium qu'il tenait entre les dents, dont certains bouts avaient même rebondis sur le bureau.

Il y avait une raison à ses divagations (c'était d'ailleurs constamment la même) : l'enveloppe, placée dans le porte-papier à côté de son ordinateur, accaparait toute son attention. Bien que sa couleur sablonnée lui asséchait la gorge à elle seule, il ne parvenait pas à la quitter des yeux.

Jungkook n'avait toujours pas réussi à en parler avec sa mère. Il savait que, tôt ou tard, il devrait lui dire la vérité concernant le fameux dîner qui l'avait rendu si malade. Plus il attendait, plus il risquait de s'attirer les foudres de son père et d'attiser le sentiment de trahison de Hyemi. Mais il savait également l'effet explosif et dévastateur que cela aurait sur elle, et il ne se sentait pas encore prêt à dégoupiller cette grenade.

Face au mur, il avait entre les mains une responsabilité beaucoup trop lourde à porter.

Un mur, une responsabilité, et d'affreux souvenirs.

« Oh, mais c'est le petit Jungkook ! »

Son crayon lui échappa subitement des mains lorsque le visage de M. Kim apparut là où son regard était placé, flottant dans l'air tel un nuage toxique.

Jungkook se recroquevilla sur lui-même, un automatisme de défense qu'il avait pris récemment. Ce n'était pas la première fois que cela se produisait. Depuis ce jour, il lui arrivait de le voir ou de l'entendre. Il n'y avait jamais de signe avant-coureur pour l'y préparer ; les traits de cet homme se dessinaient simplement devant lui, et sa voix traversait ses oreilles.

Mais ce qu'il redoutait le plus dans tout ça était la sensation dont son corps avait souvenance et qui lui provoquait autant d'inconfort que de honte : celle des orteils nus flirtant avec sa cuisse.

« Ne reste pas planté là, je ne vais pas te manger, tu sais. »

Une main sur la poitrine, Jungkook tentait de garder le contrôle de sa respiration mais la chaleur l'étourdissait. Malgré la fenêtre ouverte, l'absence de vent causait un manque d'air et les rayons du soleil, que les fins rideaux ne filtraient qu'à peine, créaient une surchauffe de la pièce. Jungkook déplia ses membres les uns après les autres pour se lever, quand un vertige le fit tituber. Il se retint de justesse à son siège, les paupières papillonnantes. Lorsqu'il redressa la tête, les murs de sa chambre étaient en train de se rapprocher de lui, tordant l'espace en une hallucination qui lui donna le mal de mer.

Sous l'ombre des souvenirs ・ᵛᵏWhere stories live. Discover now