1- Le restaurant

Depuis le début
                                    

— Alors ? reprend-elle. C'est pour bientôt, ton grand jour ?

Il sourit, énigmatique.

— Et si on commandait d'abord ?

Joignant le geste à la parole, il appelle la serveuse.

*

Il y a de ces journées qui, peu importe nos actions, sont pourries. Celle-ci en fait partie. En fait, Elsa juge que c'est sans doute la pire de toutes. Elle gagne le concours de journée de merde, avec passage par la case prison et sans joker, haut la main. Du moins, c'est ce qu'elle pense au moment où sa conversation téléphonique se coupe, l'interrompant en pleine litanie. En colère, triste, elle fixe son portable comme une idiote, se demandant pour la énième fois pourquoi elle s'est levée ce matin.

— Eh ! Tu vas rester longtemps là-dedans ? On a besoin de toi !

De rage, elle essuie ses larmes naissantes et observe le miroir devant elle. Elle vérifie que son afro est bien contenu dans un chignon relevé, qu'elle déteste mais qui est censé lui conférer une allure plus « professionnelle », que sa tenue demeure conforme aux règles du restaurant — chemise sombre, pantalon sobre —, que ses chaussures n'ont pas de tache, que ses yeux ne sont pas trop bouffis.

— J'arrive, hurle-t-elle en se mouillant prestement le visage.

Tandis qu'elle se sèche à l'aide d'une serviette de poche, elle s'examine une dernière fois, s'assurant ainsi que tout va bien, puis se force à sourire à son reflet. Une grande femme noire au regard brillant, au visage anguleux et aux cheveux crépus tellement tirés en arrière qu'un de ses sourcils en est resté figé en l'air — lui donnant ainsi une fausse expression étonnée — lui rend la même politesse. Jugeant qu'elle paraît ridicule mais présentable, elle quitte enfin les toilettes pour tomber nez à nez sur la petite brune à la coupe carrée qui l'a briefée à son arrivée au restaurant trois heures plus tôt.

— Ça fait vingt minutes que tu es là-dedans ! Allez, file ! La table trois est pour toi, je n'ai pas que ça à faire, de bosser à ta place ! Si tu continues comme ça, je n'hésiterai pas à te dénoncer, tu m'entends ?

L'ironie de la situation lui arrache un sourire. Comme si elle en avait quelque chose à foutre.

Puis, voyant le visage de son interlocutrice se déformer de rage, elle réalise qu'elle a été trop loin et que son comportement peut avoir de graves conséquences. Elle lui marmonne donc des excuses à peine audibles, juste avant de l'observer s'éloigner en une tentative ratée de déhanché : vu son manque de formes, on dirait plutôt une tortue tentant de faire du break dance. Bref, cela ressemble tellement à rien qu'Elsa doit se couvrir la bouche pour s'empêcher de pouffer.

— Qu'est-ce qui te fait rire ?

Elle pivote sur elle-même pour découvrir Alain, un serveur un peu froid qu'elle n'a croisé que deux fois dans la soirée — deux fois de trop.

— Rien ! s'empresse-t-elle de dire avant de filer reprendre son service du soir.

Elle atteint rapidement la table trois avec un carnet et un crayon en mains, prête à prendre la commande. Un couple d'Asiatiques y est installé, en train de siroter un café. Ils sont bien assortis.

— Bonsoir madame, bonsoir monsieur. Puis-je prendre votre commande ?

Le type, qui lui présentait son dos, se retourne pour la regarder, les lèvres encore étirées, comme s'il venait de rire à une bonne blague. Elsa remarque immédiatement qu'il a des rides au coin de la bouche ainsi qu'une fossette qui lui donne un air sympathique, de même qu'un visage jeune et avenant qui pourrait laisser supposer qu'il a la vingtaine. Toutefois, à en juger par l'élégance de sa tenue — elle reconnaît du sur-mesure quand elle en voit —, elle devine qu'il a plutôt la trentaine, de même qu'un travail qui requiert un certain code vestimentaire. Peut-être un comptable... ou un manager.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 22, 2021 ⏰

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