4 août (apaisement)

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La contrainte est: le chapitre doit contenir un apaisement.

Je suis arrivée. Je contemple la vieille bâtisse qui fut la maison de mes grands-parents disparus depuis une quinzaine d'années maintenant. Elle se dresse majestueuse comme si elle me narguait. Comme le temps a passé, comme l'eau a coulé sous les ponts mais pour moi, c'était hier.
Je me décide à gravir les marches qui mènent au grenier. Une lumière vive filtrant à travers la lucarne couverte de toiles d'araignées m'accueille et m'éblouit. C'est une grande pièce complètement encombrée par des cartons ci-et-là et de vieux meubles recouverts par des draps tout poussiéreux. Cela lui donne un aspect fantomatique et presque irréel.
Ce n'est pas la curiosité qui me pousse à entrer dans ce grenier, ce sont les souvenirs accumulés qui refont surface et me font souffrir. Je veux me recueillir sur ce qu'il reste de palpable de leur longue vie bien remplie. Ce sont eux qui m'ont élevée à la mort de mes parents et au décès de mes grands-parents, j'avais décidé de quitter la ville et d'aller m'installer ailleurs. Je voulais oublier, fuir...Mais les souvenirs nous rattrapent toujours et nous frappent de plein fouet à la face. On se retrouve par terre sonné comme un boxeur qui vient de prendre un mauvais coup et on met du temps à se relever. Ça peut prendre des années.

J'erre sans but précis dans cet immense capharnaüm. De temps en temps, je soulève un drap. Je découvre le vieux crapaud dans lequel j'aimais m'installer pour lire. Tu as perdu ta bergère, je me mets à penser à voix haute en m'adressant à ce fauteuil usagé. Je me retourne surprise de voir mon reflet, je n'avais pas remarqué que je me trouvais devant la psyché que mes aïeuls m'avaient offerte pour mes dix-huit ans. J'ai changé, mon visage est émacié, mes cheveux sont plus courts. Je n'ai pas bonne mine. On peut lire dans mes yeux que la vie ne m'a pas épargnée.
Je me dirige vers ma bibliothèque que je n'avais pas emportée faute de place dans mon nouveau logement et aussi, j'avais voulu à l'époque emmener le moins d'objets possible pour me détacher de mon passé. Elle contient encore des livres dont les pages sont jaunies. Je cherche et retrouve avec bonheur <<L'écume des jours>>. J'époussette avec le revers de la main la couverture encore en bon état avec la photo de l'auteur. Je m'assieds sur le crapaud et commence la lecture de mes passages préférés. C'est un ouvrage que j'ai lu des dizaines de fois et à chaque fois il m'émeut toujours un peu plus. <<Entre la nuit du dehors et la lumière de la lampe, les souvenirs refluaient de l'obscurité, se heurtaient à la clarté et, tantôt immergés, tantôt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentés.>>. Je sens les larmes monter, c'est la passage où Chloé est très malade. Et ce n'est que le début de son agonie.

Je lis les dernières pages.<<Le temps que quelqu'un me marche sur la queue, dit le chat ; il me faut un réflexe rapide. Mais je la laisserai dépasser, n'aie pas peur....[...] Elle ferma ses petits yeux noirs et replaça sa tête en position. Le chat laissa reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris. Les moustaches noires de la souris se mêlaient aux siennes. Il déroula sa queue touffue et la laissa traîner sur le trottoir. Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l'Apostolique>>. Ça y est, je n'en peux supporter d'avantage. Le suicide de la petite souris m'arrache un flot de larmes. Mes pleurs en tombant sur le plancher forment une petite flaque de boue à cause de la poussière accumulée avec les années. C'est une véritable tragédie qui se déroule à l'intérieur de moi. Je m'identifie à tous les personnages de ce chef-d'œuvre de la littérature. Les digues sont rompues, les vannes sont ouvertes, je pleure pendant une bonne demi-heure. Je pleure pour tout ce que j'ai vécu de souffrance, je pleure pour me soulager de ces maux enkystés qui me tenaillaient si douloureusement. C'est cela que je suis venue chercher dans ce grenier abandonné : un apaisement, un répit avec mes souvenirs qui s'échappent et se répandent dans toute la pièce. Toi ma mémé qui n'aimais que les chats et pas les humains, toi mon pépé qui ne disais jamais rien puis qui, on ne sait pas pourquoi, brutalement te mettais dans une colère noire, vous m'avez donné votre amour comme vous avez pu ou plutôt comme vous n'avez pas su...Vous aussi, vous aviez votre propre souffrance, une histoire bien chargée avec l'exode et les privations dues à la guerre. Je ne peux pas vous en vouloir. Je suis ici pour faire la paix avec vous. J'y ai mis le temps. Ça m'a coûté mais je me sens mieux. Je peux évoluer au milieu des <<cadavres>> accumulés dans ce lieu où la lumière joue à faire des ombres chinoises. J'y trouve un certain charme. Je vais pouvoir mettre la maison en vente et donner à Emmaüs tous les objets encore en état. Je ne garderai rien. Tout est remisé dans mon esprit et dans mon cœur.

Souvenirs, souvenirs

Vous revenez dans ma vie

Illuminant l'avenir

Quand mon ciel est trop gris.

On dit que le temps vous entraîne

Mais j'en suis certaine

Vous resterez gravés

Dans ma mémoire à jamais.

Marathon d'écriture 2019 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant