Elle n'avait pas fermé l'œil.
Pas par insomnie classique, mais parce que quelque chose, en elle, ne voulait pas la laisser dormir.
Un sentiment étrange, logé juste sous la cage thoracique. Ni douleur, ni angoisse.
Un picotement. Comme si un fichier invisible continuait de s'ouvrir. Lentement.
Lentement... mais sûrement.
Elle s'était assise sur le bord du lit, en silence, à fixer le miroir qui faisait face au mur opposé.
Toujours ce même miroir.
Toujours ce même reflet.
Trop lisse.
Trop calme.
Le genre de calme qui vient avant qu'un truc explose.
— Tu veux me connaître, Omael ? murmurait presque son reflet. Alors creuse.
Elle avait beau cligner des yeux, détourner le regard, il restait là.
Fidèle. Ironique. Comme si elle était la seule à ne pas comprendre sa propre histoire.
Elle se leva d'un geste sec. Enfila sa combinaison noire comme on enfile une armure.
Pas pour se protéger du monde.
Pour contenir ce qu'il y avait à l'intérieur.
Elle attrapa ses bottes. Les claqua au sol. À ce stade, tout bruit un peu violent lui faisait du bien.
Dans le couloir, Cole était là.
Adossé au mur, bras croisés, chewing-gum en bouche comme si c'était un jour comme les autres.
Mais ses yeux, eux, racontaient une toute autre version de l'histoire.
— Belle nuit ? tenta-t-il, comme si c'était encore possible de blaguer.
— Je t'épargne la poésie, répondit-elle sèchement.
Il sourit un peu, mais pas avec les yeux. Ils restaient sombres, inquiets.
— On nous envoie en patrouille. Secteur Zéro. Encore.
— T'as des ennemis là-bas ? Ou c'est juste du sadisme du centre de commandement ?
— Peut-être qu'ils espèrent que toi, tu retrouves quelque chose.
Elle haussa les sourcils. Mais ne répondit pas.
Il ne parla pas non plus de la photo de la veille. Ni du fait qu'il lui avait menti en pleine face.
Elle non plus.
La navette s'était posée sans un bruit.
Secteur Zéro était toujours aussi délabré, mais cette fois... quelque chose avait changé.
L'air. L'odeur. Le sol sous ses bottes.
Tout semblait un peu plus... tendu.
— Règles ? demanda-t-elle, dès qu'ils touchèrent terre.
— Même que d'hab. Reconnaissance. Pas de contact.
Il marqua une pause.
— Et reste près de moi.
— Tu veux pas plutôt me coller un GPS dans la nuque ?
— C'est déjà fait.
Elle le fusilla du regard. Il plaisantait peut-être. Peut-être pas. Et c'était bien ça le problème avec Cole.
Elle activa ses lentilles. L'affichage de chaleur s'activa devant ses yeux.
Trois signatures. Deux statiques. Une en mouvement lente, dans les escaliers.
— Je prends l'étage, lâcha-t-elle.
— Je couvre l'arrière.
Elle s'enfonça dans l'immeuble.
Les murs semblaient suinter l'humidité et le non-dit.
À chaque pas, le silence se faisait plus dense.
Comme si le lieu lui-même retenait sa respiration.
Et puis... encore ce miroir.
Une vieille glace à moitié fendue, coincée entre deux murs d'un couloir vide.
Elle ne voulait pas s'arrêter.
Elle le fit quand même.
Et là, ce n'était pas un simple reflet.
C'était une version d'elle. Une autre.
Même visage, mêmes cheveux.
Mais la posture. Le regard. La façon dont l'autre elle se tenait...
C'était elle. En mieux. Ou en pire.
Difficile à dire.
Elle tendit la main vers le miroir.
Le reflet ne suivit pas.
Il la fixa. Comme s'il l'attendait.
Un frisson remonta le long de sa nuque.
— Cole ? grésilla l'oreillette.
— J'ai comme un sale pressentiment, murmura-t-elle.
— Rapport ?
— Je crois que le bâtiment me regarde.
Silence.
— Tu veux dire les caméras ?
— Je veux dire... le bâtiment.
Les escaliers craquaient sous ses pas.
Elle grimpa, lentement, chaque sens en alerte.
Et là, au détour d'un couloir...
Une silhouette.
Pas armée. Pas hostile. Juste... là.
Figée.
Une fille. Une civile, sans doute.
Elle leva son arme par automatisme.
— BOOM. Ne bouge pas.
La fille leva les mains, tremblante.
— Ne tire pas. Je... je suis pas une menace.
Et ce regard.
Ce regard-là...
C'était le même que dans son souvenir.
Celui qui l'avait coupée la veille comme une lame dans la poitrine.
Omael recula d'un pas. Son souffle s'accéléra.
— Tu m'entends ? murmura-t-elle.
La fille fronça les sourcils.
— Quoi ?
— Tu... tu me connais ?
La fille secoua la tête.
Mais Omael ne la lâchait pas des yeux. Elle avançait à peine. Comme hypnotisée.
Une image s'imposa à elle.
Cette même fille. À genoux. Du sang sur les mains. Une arme pointée sur elle.
Et sa propre voix, intérieure : Tire.
Mais dans le couloir... la voix réelle suppliait :
— Ne tire pas, Omael...
Et cette fois, ce n'était pas la fille qui parlait.
C'était elle-même.
Elle abaissa lentement son arme.
Le monde vacilla. Comme si deux réalités essayaient de coexister dans le même espace.
Son genou heurta le sol. Sa vision se brouilla.
Et tout devint noir.
Quand elle rouvrit les yeux, Cole était là. Penché au-dessus d'elle.
Son regard était dur. Mais sa main était sur son épaule.
— T'as perdu connaissance. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Elle regarda autour d'elle. Le couloir. Vide. Plus de fille.
— Elle était là. Je l'ai vue. Elle m'a parlé.
— Qui ?
— La fille du souvenir. Celle que je...
Elle ne termina pas sa phrase.
Cole pinça les lèvres. Il ne demanda rien de plus.
Pas maintenant.
Elle se redressa. Lentement.
— Tu crois que je suis en train de devenir folle ?
Il hésita.
— Je crois que t'es en train de te réveiller.
⸻
À suivre...
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Science FictionEn 2103, le monde a radicalement changé. Les technologies ont pris le dessus, et les limites entre l'humain et le numérique sont plus floues que jamais. Omael BagPack, 21 ans, agent surentraînée d'une organisation secrète, se réveille sans aucun sou...
