Essai - Le plue bô maittié due mond ! Est m'aime 2 luni vaire !

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Travailler 24 heures par semaine en maternelle et primaire, 18 heures en secondaire, et même 14 heures pour les agrégés. Avoir 15 semaines de vacances par an et la sécurité de l'emploi.

Voilà les chiffres-clés connus par tout le monde, ceux qui font dire aux jaloux que nous sommes des privilégiés. Que nous exerçons le plus beau métier du monde. Et que, ce faisant, nous n'avons plus rien à dire, juste à subir.

Subir les coupes budgétaires qui gèlent les salaires depuis des années, multiplient les suppressions de postes et dégradent nos conditions de travail tandis que le nombre d'élèves ne cesse d'augmenter et leurs problématiques se complexifier alors qu'on les entasse toujours plus nombreux dans des classes indignes et des écoles-usines.

Subir les pressions hiérarchiques à la réussite des élèves alors même qu'on nous prive des moyens de les faire réussir.

Subir la vindicte sociale qui veut faire payer le chômage aux travailleurs.

Subir le mépris de tous ceux qui nous voient en caste élitiste responsable de tous les échecs sociétaux quand nous formons les derniers remparts contre l'injustice.

Alors oui, nous subissons en grande majorité et ne faisons plus ou presque plus grève. Nous subissons pour ne pas pénaliser les élèves en les privant de notre insuffisante présence. Nous subissons pour ne pas pénaliser les familles en leur infligeant la garde de leurs enfants et le souci de la menace du chômage pour les individus les moins bien formés, les moins performants. Nous subissons pour ne pas nous attirer le mépris des collègues qui n'admettent pas l'échec de notre institution, de notre hiérarchie qui est promue en fonction des statistiques produites et que l'échec entache, des médias qui se gorgent et exultent de la détresse, de la société qui souffre et qui, acculée, griffe et mord les cibles les plus accessibles. On nous culpabilise assez pour ça. On nous pousse à une complicité passive en nous tenant par notre conscience professionnelle.

Et tout en subissant docilement l'inacceptable, nous nous faisons complices d'un système inefficace et injuste, nous en devenons les seuls acteurs visibles, les seuls responsables de ses échecs, les boucs-émissaires.

Mais qui saurait être enseignant en n'ayant appris qu'à être élève ? Qui saurait accompagner chaque enfant avec un à plusieurs groupes de 20 à 35 élèves ? Qui saurait enseigner sans y avoir été formé ? Qui saurait garantir l'égalité des chances entre les élèves quand le système oblige à traiter tous les élèves en masse, comme des dossiers, des numéros, en niant les besoins spécifiques de chaque enfant ? Qui saurait faire atteindre une culture encyclopédique à un enfant quand les pré-requis manquent ? Qui saurait assurer les compensations des inégalités sociales sans les moyens d'influer sur la vie des familles ?

Qui saurait défendre un contrat social humaniste qui n'est plus qu'un jeu de dupes dans un monde où le citoyen est un consommateur, un outil industriel, un être remplaçable dans un monde mercantile ?

On demande l'impossible aux enseignants d'aujourd'hui.

Dans un monde atomisé, mondialisé, d'individualisme et de concurrence acharnée, on nous demande d'enseigner la coopération. Dans des sociétés de la jouissance et de l'avoir, on nous demande d'enseigner l'effort, la responsabilité et la culture, dans un monde de violence et de contraintes, on nous demande d'enseigner le libre-arbitre, le respect et l'épanouissement personnel.

La quadrature du cercle.

Les réussites sont celles du système et des élèves, les échecs ceux des enseignants.

Et les échecs sont nombreux et amers.

Les réussites, simples jeux d'écriture hypocrite masquant l'essentiel d'un système désavoué par son inefficacité.

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