Appartement 2 : Une stagiaire chez M. EFFE

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LA STAGIAIRE : Merci beaucoup de m'accueillir chez vous. Je suis vraiment navrée.

M. EFFE : Est-ce que j'avais vraiment le choix ?

LA STAGIAIRE : Oui, vous auriez pu me laisser attendre dehors que mes parents arrivent pour me récupérer.

M. EFFE : C'est vrai que si je devais accueillir chez moi toutes les victimes des défaillances de la SNCF, ma maison serait toujours pleine. Après tout, je ne suis pas le responsable.

LA STAGIAIRE : Mais vous êtres mon responsable.

M. EFFE : Seulement pendant les heures de travail.

LA STAGIAIRE : C'était juste un jeu de mots. En tout cas, merci beaucoup.

M. EFFE : Rassurez-moi quand même, ils vont mettre combien de temps à arriver vos parents ?

LA STAGIAIRE : Une quinzaine de minutes je pense ; vingt maximum. Mais je ne veux pas vous déranger, j'ai mes manuels dans mon sac, alors je peux profiter de ce temps pour étudier.

M. EFFE : Voilà une excellente idée. Ou bien, vous pourriez encore arrêter pendant qu'il est temps.

LA STAGIAIRE : Arrêter ? Comment ça ?

M. EFFE : Arrêter d'étudier l'ophtalmologie.

LA STAGIAIRE : Pourquoi ? Je suis si mauvaise que ça ? Après seulement une journée de stage, vous pouvez vous rendre compte que je ne suis pas faite pour ça ?

M. EFFE : Mais personne n'est fait pour ça ; ou plutôt c'est ça qui n'est fait pour personne.

LA STAGIAIRE : Vous n'aimez pas votre métier ?

M. EFFE : Bien sûr que non. Aimer son métier, et puis quoi encore ? Si vous entamez cette carrière avec l'espoir d'apprécier vos journées, je vous conseille véritablement d'arrêter tout de suite.

LA STAGIAIRE : Vous testez ma motivation, c'est ça ?

M. EFFE : Pas du tout. Je n'en ai que faire de votre motivation et de vos compétences. Je vous laisse me suivre à la trace toute la journée et observer, je réponds à vos questions, parce qu'on me l'a imposé. Mais je ne me soucie aucunement de votre destin.

LA STAGIAIRE : Pourquoi me conseillez-vous d'arrêter, alors ?

M. EFFE : Je n'en sais rien. Je n'ai que faire de vous conseiller. Je vous dis juste ce qu'il en est. Je suis chargée de vous faire découvrir la réalité du métier, après tout. Alors je vous dis ce qu'est cette réalité : insatisfaisante. Vous investissez toute votre jeunesse à travailler sans relâche avec le mince espoir d'obtenir un diplôme que peu parviennent à décrocher. Tout ça pour quoi ? Vous espérer que ça donnera du sens à votre vie ? Que vous serez fière de vous ? Que vous serez utile ? Que vous contribuerez à la société ? Que vous aiderez-des gents et qu'ils vous seront reconnaissants ? Mais vous rêvez !

LA STAGIAIRE : C'est quand même un peu gros d'affirmer que ce métier n'a aucun sens ni aucune utilité. Personnellement, si personne ne m'avait prescrit mes lunettes, je gage fort que je n'aurais pas fait des études de médecine. Je ne sais même pas si j'aurais pu décrocher mon bac, en n'y voyant goutte.

M. EFFE : Oh, je vois, vous avez le fantasme d'être une bonne fée restaurant la vue des aveugles ? La vérité, et vous l'avez bien dit, c'est que votre ophtalmologue vous a juste prescrit des lunettes. Voilà ce que je suis : un prescripteur de lunettes. Est-ce que les gens se soucient vraiment de leur vue ? Non, tant qu'ils voient. Vous leur donnez des conseils et ils ne vous écoutent pas. Vous leur dites de revenir régulièrement et ils reviennent quand le mal est déjà fait. Et, pire : quand vous leur annoncez une bonne nouvelle, ils sont mécontents !

Ça blablate à tous les étagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant