9 - Démons du passé [Corrigé]

706 65 43
                                    

Un long silence suit le départ précipité de Tyron, pendant lequel James reste immobile, comme perdu dans ses pensées, les yeux rivés sur la porte close. Dans ses sourcils froncés et son regard absent, je lis une certaine inquiétude pour son frère. Après quelques minutes, je demande :

« Il... Il est parti où ? »

L'homme se tourne vers moi avec surprise, comme s'il en avait oublié ma présence. Il me toise un moment avant de retourner en boitant sur son lit.

« Il règle des affaires » dis-t-il simplement.

Je ne m'attendais pas à beaucoup plus de détails. Quels genres d'affaires ? C'est une bonne question que je ne me risque pas à poser, malgré ma curiosité insatiable. À la place, je réfléchis à toute allure. Le départ de Tyron est peut-être ma chance, après tout. Si j'arrivais à faire en sorte que James me libère, je pourrais facilement le distancer et même le mettre à terre en appuyant sur sa blessure. Je n'aurais pas deux fois cette chance. Je me lance, en lui adressant un regard soucieux :

« Il faudrait changer ton bandage et nettoyer ta blessure. Ce genre de plaies, ça s'infecte vite et après c'est très, très douloureux. »

Le bandit arque un sourcil en me dévisageant puis ses lèvres s'étirent en un sourire qui me surprends. Il étends les jambes sur son lit sans me quitter des yeux, une lueur amusée dans le regard.

« Écoute, rouquine. Tu peux me traiter de beaucoup de choses, mais surtout pas d'être stupide. Je fais peut-être moins peur que mon frère mais c'est pas pour autant que je vais te libérer. Comme tu l'as si bien signalé, je suis blessé, j'ai mal, j'ai froid et je suis vraiment, vraiment fatigué par tout ça. Alors si tu pouvais juste la fermer et rester tranquille, ça m'éviteras d'avoir à jouer au méchant criminel. »

Il a en effet l'air épuisé. Ses cernes sous les yeux n'ont rien à envier à celles de Tyron, ses traits sont tirés et ses yeux sont ternes. Une telle blessure, ça use. Et, bizarrement, alors qu'il récupère son livre et se plonge dedans, je ne dis plus rien. D'une part parce qu'il a vu clair dans ma stratégie, de l'autre parce que j'ai déjà assez d'un méchant criminel, pas besoin d'en provoquer un deuxième.

Mon peu d'instinct de survie me pousse à chercher toute possibilité pour fuir, mais paradoxalement il me pousse aussi à me faire la plus petite possible et ne pas embêter les deux frères. Et j'ai pour habitude de toujours écouter mon cher instinct de survie qui m'a sauvé bien des fois la mise. La dernière fois que je l'ai ignoré, c'était en deux-mille onze, en acceptant d'escalader une falaise pour les beaux yeux de Ryder. Des années plus tard, je le regrette amèrement mais, à ce moment, je lui avais pardonné...

« « Anie ! Tu vas bien ? »

J'ai devant moi un John paniqué et furieux de tout juste quatorze ans. On est le treize juin, quatre jours, cinq heures et douze minutes après ma chute. Je viens juste de me réveiller et j'ai mal partout, du bout des doigts jusqu'à la pointe des pieds. Jonathan abandonne vite sa colère et se précipite à mon chevet pour me prendre la main. Je dois m'y reprendre à trois fois pour arriver à parler, ma gorge nouée refusant d'émettre le moindre son :

« Je... je vais bien. Mon père est pas là ? »

Ma voix est rocailleuse telle que je ne l'ai jamais connue. En plus de ce pied dans le plâtre et de ma paralysie temporaire de la colonne vertébrale qui est en train de guérir, ma gorge semble en avoir pris un coup. Mais bon, j'imagine que c'est toujours mieux que d'être morte. John secoue lentement la tête avec un air navré et je lis dans son regard que mon père doit être chez lui, ivre à s'en vouloir de ne pas être avec moi, à boire pour oublier sa culpabilité, puis à s'en vouloir à nouveau de boire et se noyer dans l'alcool pour l'oublier. L'alcoolisme, c'est une cercle vicieux. Je regarde vaguement autour de moi :

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant