Chapitre 8

2K 308 526
                                    


La journée démarrait bien pour un lundi. Travis avait apporté un roman au lycée, habitude qu'il tenait du collège. Où qu'il aille, il emportait toujours de la lecture. Il n'avançait cependant que peu et pour cause, il délaissait les mots de papiers pour les mots virtuels. Son mystérieux inconnu et lui avaient passé leur dimanche à s'écrire. Travis ignorait jusque-là qu'il pût autant parler à quelqu'un. Sa bulle se désagrégeait, ses défenses s'émiettaient quand les messages l'emportaient dans quelque sourire, ce qui, il devait bien l'avouer, arrivait souvent. Il se fichait d'ailleurs pas mal d'avoir l'air d'un imbécile face à son écran. Même s'il tentait de faire bonne figure auprès des rares personnes qui lui adressaient la parole, l'ombre de S rôdait dans ses pensées. Ainsi, tout se passait bien en ce lundi. Jusqu'à ce message.

De : S
lun. 10:22
Tu viens d'me gifler.

De : S
lun. 10:22
Rectification. La personne que j'pensais que tu étais vient de me gifler parce que visiblement elle n'est pas toi. Donc questions :
1) T'ES QUI ?
2) A quel moment tu comptais cesser de te foutre de moi ?

L'échafaud des sourires de Travis s'effondra, tour de sable submergée par une vague. Ne restait que l'écume de l'amertume qui le balaya, là au milieu du couloir. La surprise d'abord. Le choc ensuite. La tristesse enfin.

À ce moment précis, une petite voix mesquine lui susurra qu'il aurait dû s'en douter.

Quelle possibilité y avait-il que je rencontre quelqu'un avec qui ça marche si bien, qui m'accepte comme je suis ? Aucune. Strictement aucune. 

L'accusation – quoique fort injuste – ne fut pas le pire. La douleur vint quand Travis se rendit compte de la fragilité du lien qui les unissait lui et S. L'accablement lui passa toute envie de parlementer.

À quoi bon ? Il m'a pris pour un autre. Fin de l'histoire. Inutile de s'acharner. 

Il lui faudrait des jours pour s'en remette, des mois pour oublier et des années pour reconstruire un semblant de confiance. Malgré tout, il prit le temps d'envoyer un dernier message.

"Je ne suis personne."


Inutile de répondre à l'autre question. 

Quelle importance, désormais ? 

Puis il éteignit son téléphone. Il n'en tirerait plus rien aujourd'hui. Ni les autres jours.

___________________________________

— Je comprends pas... réitéra Pete.

— Arrête de répéter ça. Ça m'rend dingue.

— Je te jure que c'est elle qui m'a donné ce numéro...

— Eh ben... elle s'est fichue de toi !

Pete n'ajouta rien. Il connaissait son meilleur ami depuis l'école maternelle. Rien ne le calmerait dans l'immédiat. Steeve tournait en rond. Son sac d'école abandonné contre un mur, il allait et venait, usant un peu plus les carrelages défraichis du hall d'entrée.

— Elle s'fout de moi ! Littéralement ! s'emporta-il.

Pete remonta ses lunettes sur l'arête de son nez. Il n'osait pas parler de peur de minimiser ou d'en rajouter une couche. Steeve avait de toute façon besoin d'extérioriser, se fichant comme d'une guigne des élèves alentour.

— Elle me répond même pas. Elle... elle ne répond juste plus. Comme ça ! On parle tous les jours et elle fuit comme ça ? Sans s'expliquer ?

Il écarta les bras en signe d'impuissance, attendant un quelconque signe de son meilleur ami à qui les réponses échappaient aussi. Et finalement, il cessa ses rondes pour se laisser tomber près de son sac, déterminé à passer la pause du matin au sol.

Le garçon dans le noir ( S&T) T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant