Chapitre 2.4

1.4K 249 173
                                    

La salle du trône bruissait d'agitation. La lueur du soleil baignait la longue pièce ocre et or : de hautes ouvertures en ogive laissaient les rayons de l'astre du jour réchauffer le sol de pierre. Le vent s'engouffrait par les petites fenêtres vitrées, chassant les derniers remugles des combats.

Comme une promesse, le renard des Virdemis flottait au gré des bourrasques de part et d'autre de la grande porte. Tous les chevaliers, les barons et les ducs avaient été convoqués par le roi. Leurs bottes couvertes de sable et de poussière foulaient le tapis pourpre qui scindait la salle jusqu'au trône.

Une dizaine de domestiques débordés trottinaient entre les hauts dignitaires assoiffés : après le sang, le vin coulait à flots.

On annonça le roi. Les discussions cessèrent aussitôt.

Rehard traversa la pièce d'un pas vif. Il s'assit sur son trône et, d'un geste de la main, indiqua à ses vassaux qu'ils pouvaient se relever.

— Mes seigneurs, nous célébrons en ce jour une grande victoire. Virda est nôtre !

Des éclats de voix enthousiastes saluèrent cette déclaration.

— Néanmoins, notre tâche n'est pas encore terminée. Les enfants de Todvis sont retranchés dans le château de Goragna avec leur garde. Tant qu'ils tiennent le bastion de leurs ancêtres, ils constituent un danger pour nous : nous devons les capturer à tout prix.

Des hochements de tête confirmèrent les dires du roi.

— Général Agabeld, appela-t-il.

Le chevalier s'inclina et se retourna vers les nobles.

— Kornin Vanderic et l'avant-garde ont quitté Virda ce matin et marchent vers Goragna, détailla ce dernier. Dès demain, je prendrai la tête des renforts.

Hagold Moronard s'avança.

— Majesté, dès que la nouvelle du départ de nos troupes atteindra la princesse Dista, son demi-frère et elle fuiront en Arcavie, objecta-t-il. Leur cousin leur accordera sa protection, c'est évident.

La mention au roi arcavien assombrit les traits de Rehard.

— Nous avons des alliés à Goragna, révéla-t-il. Le baron de Carlate et ses vassaux ont encerclé le château : nul n'y entre et nul n'en sort. Lorsque notre armée les aura rejoints, ils seront en nombre suffisant pour lancer l'assaut.

Un brouhaha approbateur s'éleva. Bargald Carmidor se racla la gorge : le silence se fit.

— Que ferons-nous de la fille et du bâtard de Todvis ?

Visars esquissa un rictus moqueur.

— Si le bâtard jure allégeance à Sa Majesté, il vivra, exposa-t-il. Il en ira de même pour la princesse : si elle reconnaît Rehard comme son roi, elle deviendra sa femme et ne représentera plus la moindre menace.

— Pardonnez-moi, ricana le duc, mais si elle a ne serait-ce que la moitié du tempérament de Morgat, elle ne cèdera pas.

— Alors Dista subira le même sort que sa mère, trancha Rehard.

Le Corancien hocha la tête. Il n'y avait rien à ajouter.

— Quoi qu'il en soit, les Arvagna feront bientôt partie des ennemis du passé. Nous devons désormais nous tourner vers l'avenir afin d'assurer la paix et la prospérité !

Des acclamations résonnèrent dans la salle du trône. Le roi frappa deux fois dans ses mains et, aussitôt, un serviteur lui apporta un coffret de bois ciselé. Rehard y inséra une petite clef et ouvrit le couvercle.

Il se leva, descendit de son gradin et avisa son oncle.

— Le royaume a besoin de la sagacité de sa plus haute noblesse. C'est pourquoi je vous fais, Visars Virdemis, chancelier de Rubisie. Puissent les dieux vous éclairer de leur sagesse infinie.

Le roi saisit la bague de chancelier, un bijou en or massif surmonté d'un gros rubis, et la remit à son oncle. Ce dernier le remercia avec chaleur et l'embrassa sous les applaudissements. Le monarque se tourna ensuite vers Bargald.

— Seigneur Carmidor, je vous nomme président du Conseil des Trois. Puisse Ordéon vous épauler dans votre nouvelle fonction.

L'insulaire inclina la tête.

— Merci, Majesté. C'est un immense honneur.

Il enfila à son annulaire droit l'anneau d'argent orné d'un saphir que lui tendait le monarque. Son bleu océan lui soutira un sourire nostalgique.

— Les barons Forbon Dépinant et Moerl Tasquin, termina le souverain, siègeront aux côtés du duc de Corance au sein du Conseil des Trois. Puisse Catovis guider votre sens de la justice et de la morale.

Alors que les deux intéressés recevaient leurs chevalières, Bargald passa une main distraite dans sa barbe.

Il aurait parié que le duc de Sorgone rejoindrait le Conseil : au lieu de cela, le roi lui avait préféré l'ancien secrétaire de Todvis. L'insulaire jeta un œil à Hagold Moronard, qui ne semblait pas ébranlé. Il ne paraissait même pas surpris d'être écarté du pouvoir.

Rehard quitta la salle du trône, son chancelier sur les talons. Le Corancien observa le général Agabeld sortir d'un pas vif avec quelques chevaliers : qu'importe les jeux politiques de la capitale, les guerriers avaient encore une dernière victoire à remporter. Une ultime bataille menée contre une princesse de seize ans.

Dista serait bientôt confrontée au choix le plus cruel de son existence. Et, quelle que soit sa décision, le nom des Arvagna s'éteindrait pour toujours.

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant