8. Nouvelles (version éditée)

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Dès qu'elle arriva en haut des dernières marches qui la séparaient du palier du deuxième étage, Alinor s'engouffra dans le couloir sans un regard en arrière. Elle tremblait de tous ses membres et son souffle était erratique. Elle l'avait échappé belle ! Quelle malchance de tomber justement sur les deux hommes dont elle devait se cacher ! Pourvu qu'ils soient descendus et qu'elle ne les rencontre plus. La jeune fille se hâta vers la chambre de lady Judith, frappa à la porte et entra sans même attendre de réponse. Sa mère la regarda, surprise par tant d'empressement, puis son visage s'éclaira d'un grand sourire.

— Ma chérie, que je suis heureuse de te voir en si bonne forme, on dirait que tu es totalement remise !

Mais, avisant les joues rouges et la respiration hachée d'Alinor, elle comprit de suite que son aînée n'était pas dans son état normal. Elle se rembrunit aussitôt et se précipita vers elle.

— Que se passe-t-il, Alinor ?

— Ce n'est rien, maman.

— Dis-moi tout.

— Je viens juste de croiser le baron normand dans l'escalier...

— Mon Dieu, il ne sait pas que c'est toi qui l'as blessé, n'est-ce pas ?

— Non. Ne vous mettez point en peine. Il ne peut pas s'en douter. J'ai pris bien garde de ne pas le regarder, il m'a prise pour une servante.

— Merci Seigneur ! s'exclama lady Judith, soulagée. Cet homme m'a l'air intègre et il est, ma foi, plutôt courtois puisqu'il ne nous a pas chassés de nos chambres, mais je ne sais pas comment il réagirait s'il découvrait que tu l'as pris pour cible avec tes flèches et que tu l'as meurtri avec ton épée.

Impatiente de révéler ce qu'elle venait d'apprendre, Alinor haussa les épaules avec négligence en changeant de sujet :

— Laissons de côté ce sujet. Maman, j'ai quelque chose d'important à vous dire, mais il va falloir garder le secret...

— De quoi veux-tu me parler ?

— Des envoyés du bâtard de Normandie sont arrivés céans et ils ont apporté des nouvelles au baron de Fougères.

— Je sais cela, ma chérie. Messire Gautier leur a offert l'hospitalité et m'a demandé de veiller à leur installation pour la nuit.

— Tout à l'heure, j'ai pu prendre connaissance de la teneur des parchemins et...

— Comment est-ce possible ? Alinor, qu'as-tu fait ?

— Je me suis introduite dans le bureau grâce au passage secret.

Horrifiée, lady Judith serra sa fille dans ses bras.

— Dieu tout-puissant, Alinor ! Pourquoi encourir de tels risques ?

— Ne vous inquiétez pas. J'ai fait très attention.

— As-tu pensé à ce qu'il te serait arrivé si les Normands t'avaient surprise en train de lire leurs messages ?

— Maman, écoutez-moi ! Vous n'imaginez pas ce que j'ai découvert ! J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer !

— Qu'as-tu appris ?

— Papa et Edwin sont vivants !

À ces mots, lady Judith, remplie d'espoir et saisie par l'émotion, ne put que balbutier :

— Tu en es sûre ? Mais... comment ?

— Guillaume de Normandie a envoyé une missive avec la liste des nobles saxons qui sont tombés pendant la bataille d'Hastings. Papa et Edwin n'en font pas partie.

— Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont vivants, Alinor.

— Attendez, ce n'est pas tout ! Dans le message, il dresse aussi la liste de ceux qui sont prisonniers et j'ai vu leurs noms ! Maman, ils ont été capturés, mais ils sont vivants !

— Pourvu qu'ils le restent et que le duc normand ne les fasse pas mettre à mort.

— Je ne pense pas. Si cela avait été son intention, il les aurait fait exécuter dès la fin des combats.

— C'est probable. Alors, à ton avis, que va faire le duc ?

— S'il est cupide, peut-être demandera-t-il une rançon ?

— Mais comment pourrons-nous payer ? Aurons-nous assez dans nos coffres ?

— Je ne sais pas ! Mais pour l'instant, l'essentiel c'est qu'ils soient en vie. J'espère que nous aurons très vite des nouvelles.

Lady Judith embrassa sa fille en pleurant de joie.

— Quel bonheur de les savoir saufs !

— Ça me déchire le cœur de devoir leur cacher cela, maman, mais il ne faut rien dire aux petits. Nous ne sommes pas censées savoir et ils pourraient nous trahir par inadvertance.

— Tu as raison, ma chérie.

— Je mettrai uniquement Geoffroy et Aileen au courant. Personne d'autre ne doit en avoir connaissance !

Alinor quitta l'étreinte de sa mère et son visage se ferma.

— Je dois vous apprendre autre chose, maman.

— Quoi d'autre, ma fille ?

— Ce n'est pas une nouvelle plaisante.

— Tu m'inquiètes... Qu'y a-t-il ?

— Dans le second message, le duc bâtard demande au baron de Fougères de débarrasser nos terres de tous les rebelles qui auraient éventuellement pu y trouver refuge. Et il envoie un important contingent militaire pour exterminer ceux qui sont retranchés dans des fiefs au nord ainsi qu'à l'ouest du nôtre. J'ai bien peur que nous ayons de nombreuses troupes normandes qui fassent halte à Thurston, dans un avenir proche.

— Rassure-moi, Alinor, dis-moi que messire Gautier va rester céans avec ses hommes ?

— Je l'ignore, maman. Je n'ai rien vu à ce propos dans la missive.

— Pourvu que messires Gautier et Thibaud demeurent ici et nous protègent. Eux, au moins, se conduisent bien avec notre peuple. Ce n'est pas le cas de tous les occupants normands, loin de là.

— Je sais. J'ai appris par Geoffroy ce qu'il s'est passé à Arding et Emerson. Mais il n'empêche que j'aimerais bien bouter ces Normands hors de notre fief.

— Il faut raison garder, Alinor. Pour l'instant, nous sommes plus en sécurité avec eux dans nos murs, que seuls et à la merci de n'importe quel autre seigneur. Donne-moi ta parole que tu ne tenteras rien !

— Tant que les Normands traiteront bien nos gens, je vous promets que je ne ferai rien contre Fougères et ses hommes. Mais si jamais ces Normands commencent à torturer ou tuer les nôtres... le baron me trouvera sur sa route !

— Il va bientôt être l'heure de dîner, Alinor, il faut que je descende et toi tu devrais regagner ta chambre. J'enverrai Brynn ou Martha te monter un plateau. N'oublie pas que tu dois te faire discrète, alors plus de vagabondage dans les couloirs !

— C'est compris, maman.

— Utilise le passage, c'est plus sûr.

La jeune fille embrassa sa mère, puis se dirigea vers les boiseries qui couraient le long du mur extérieur. Elle actionna le levier dissimulé et disparut par l'ouverture béante tandis que le panneau se refermait derrière elle.

Combat d'amour - Tome 1 [ 2018 ADA Editions - 2023 auto-édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant