Zachary détourna son regard du spectacle de l'Europe sombrant dans la nuit pour le porter sur l'écran de l'ordinateur. Pendant les vingt dernières heures, les assistants robotiques avaient eu le temps de remplacer la dalle de projection, évacuer les débris, nettoyer le clavier des taches de vin. Plus rien dans la villa orbitale ne portait trace de la rébellion de son clone.
L'écran afficha les captures vidéo enregistrées par le circuit secondaire lors de la révolte. Zachary y reconnut le moindre détail. Le choix du parfait visage, l'obscurité, le sourire carnassier dupliqué cent fois. Il y retrouva aussi ses gestes incertains, ses hésitations, sa peur de l'asphyxie. Sa peur de la mort.
Le pire de tous, songea-t-il en s'asseyant en face de l'écran. À chaque nouvelle simulation, mon double est de plus en plus effroyable.
En quelques commandes, il fit défiler les deux dossiers précédents. D'autres images, d'autres scènes issus des expériences antérieures, où souriaient des visages holographiques subtilement différents.
La première virtualisation semblait s'être pourtant bien déroulée. Sa copie l'avait écouté avec attention, avec compréhension, il disait accepter les termes du contrat. Mais quand Zachary avait cherché à quitter le séjour, il n'avait trouvé que des portes verrouillées.
La seconde s'était révélée plus directe. Toujours policée, mais le double avait cette fois pris le contrôle des circuits de nourriture et de médicaments. Là encore, son sosie n'avait pas tenté de le tuer froidement : il l'incitait à changer d'opinion.
Seule la troisième conscience artificielle avait immédiatement opter pour le meurtre, de la manière la plus expéditive que permettait la villa orbitale.
La fatigue pesa sur ses frêles épaules. Zachary voulait en finir au plus vite. Après ces trois essais, la conclusion était claire : jamais il ne parviendrait à lancer sa conscience virtualisée et lui survivre en même temps. Son double tentait toujours de l'éliminer, d'une façon ou d'une autre, et les marchés de passation qu'il proposait n'étaient que des escroqueries ; il le savait, il aurait fait la même chose.
Il avait bien songé à ne pas ouvrir l'accès vers l'extérieur, à laisser le doppelgänger impuissant dans ses circuits de silice, mais l'autonomie totale était une des conditions nécessaires pour qu'il puisse prendre le relais à sa mort. Il avait aussi imaginé attendre ses derniers jours pour réaliser l'opération mais il refusait de courir ce risque. Un simple malaise, un trépas prématuré, et tout son projet échouerait.
Zachary soupira. Après tout, à quoi s'attendait-il ? À leur place, il se serait comporté de la même manière. Il avait agi de la sorte toute sa vie. Espérer une autre réaction d'un programme qui le reproduisait avec la plus grande fidélité était absurde.
Pour la quatrième fois, il rajusta le nœud de sa cravate aux fils d'or et les plis de son costume, puis pianota les commandes qui réinitialisaient le logiciel. Cette fois serait la bonne. Cette fois, il ne prononcerait pas le mot tueur pour suspendre et redémarrer le programme.
Cette fois, il accepterait de mourir pour laisser la place à son immortalité.
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Monologue
Science FictionZachary Adamson est l'homme le plus riche et le plus puissant de la Terre, mais même les meilleurs médecins ne peuvent plus repousser l'inéluctable : il va bientôt mourir. Reclus dans sa villa orbitale privée, il discute avec celui qui devra hériter...
