La porte se rouvrit sur sa silhouette apaisée. Quelques gouttes d'eau luisaient encore sur son front ridé et ses doigts jaunis. Zachary s'approcha de l'écran flottant. Y avait-il un nouveau commentaire quant à son corps affaibli par l'âge et la maladie ?
Les caméras avaient repris leurs angles d'origine. Toutes sauf une, curieusement braquée vers l'ordinateur qu'elle fixait de sa diode rubis.
C'est ainsi que je te parle ? Pas de voix, pas de visage, juste des mots anonymes ? Je suis ton double, tu m'as dit, je possède tout ce que tu possèdes. J'exige un meilleur avatar que ces simples lignes blafardes.
Zachary se rassit en face de la console. Son corps s'enfonça en douceur dans le cuir moelleux du fauteuil. Il soupira d'aise tandis que son dos s'arrondissait contre le support amorti. Chaque nouveau jour, il s'épuisait un peu plus vite que le précédent.
— Tu n'as pas besoin de ça pour le moment, répondit-il d'une voix lasse, sans chercher à se rapprocher du micro.
Les paupières mi-closes, il scruta les diagrammes en haut de l'écran s'affoler, puis déchiffra les caractères qui s'alignèrent en bas de l'hologramme.
Tu m'as privé de la chair, j'ai au moins le droit à un visage et une voix. Même virtuels.
Zachary cligna des yeux. Dans cette position, la tête loin de l'ordinateur, il eut du mal à épeler les derniers mots. L'amélioration que demandait son clone pouvait lui être utile, après tout.
— Soit. De toute façon, tu en aurais eu l'usage à terme, pour le rôle que je te réserve. Laisse-moi te donner l'accès aux banques de données, tu n'auras qu'à faire ton choix.
Il se redressa vers l'avant du siège et pianota les commandes nécessaires. Une nouvelle section s'ajouta à l'hologramme. Des centaines de clichés de lui y défilèrent dans un enchaînement flou, trop rapide pour y distinguer la moindre photographie. Les maillages tridimensionnels de son crâne s'y superposèrent, puis les oscillations acérées qui modélisaient sa voix, tirées de ses discours enregistrés.
Les catalogues se réduisirent et disparurent. La fenêtre de dialogue s'effaça pour laisser place à un visage isolé, à peine transparent, qui lévitait à une vingtaine de centimètres de la console. Zachary se reconnut, ou crut se reconnaître. Lui-même, plus jeune, cinquante ans environ au lieu des cent-trente actuels. La chevelure plus soignée et fournie qu'elle ne l'avait jamais été, les yeux d'un bleu plus clair, la pointe de la barbe taillée avec un soin millimétré irréaliste. Le menton était un peu plus volontaire, le nez plus fin, le regard plus vif. Il comprit le choix de son double ; quitte à n'être qu'une image, autant en choisir une parfaite.
— Mieux, beaucoup mieux.
Les lèvres translucides avaient accompagné les mots jaillis des hauts-parleurs muraux. Là encore, Zachary reconnut sa voix même s'il devinait les discrètes révisions que son sosie y avait apportées. La tessiture plus grave, les mots plus tranchés, les syllabes détachées avec plus de naturel.
Son regard absent se perdit un instant dans cette image de ce qu'il n'avait jamais pu être. Son reflet amélioré s'agita, s'énerva, et Zachary comprit qu'il n'avait pas prêté attention à la question que le clone ne cessait de lui répéter.
— Alors, réponds, pourquoi m'as-tu conçu ? Quel est ce fameux rôle que tu me réserves ?
Zachary s'humecta les lèvres. Il aurait aimé pouvoir étudier les diagrammes mentaux pour connaître l'effet de sa réponse, mais ils avaient été réduits en minuscules mouches colorées s'agitant derrière le visage de son alter-ego.
— Tu vas prendre ma place à la tête d'Adamson Holding.
— Un remplacement ? Une usurpation ?
Zachary fit signe de la tête que non.
— Les miracles de la chirurgie sont épuisés en ce qui me concerne. J'aurais déjà dû mourir il y a dix ans, et les médecins sont impuissants à reculer davantage l'heure de mon trépas. Il me reste trois mois tout au plus.
L'annonce de sa mort prochaine n'ébranla pas son double. Il l'écoutait toujours, les yeux plissés, sans trahir la moindre émotion.
— Quoi qu'il en soit, je refuse que mon décès mette fin à mon pouvoir et à mon empire. Tu dirigeras l'entreprise après moi. C'est la meilleure immortalité que j'ai pu me trouver.
La tête flottante se pencha un peu sur le côté, le regard vers le sol, comme pour réfléchir. Zachary y reconnut ses propres tics et son propre langage corporel.
— Le comité de direction est-il d'accord avec cette décision ? Et les actionnaires ?
— Le comité pense ce que je lui dis de penser, s'agaça Zachary. Pareil pour les actionnaires. L'important pour eux est que le pouvoir à la tête du consortium demeure stable. De toute façon, ce ne sera pas vraiment une première : Tessier-Ashpool comptait trois IA dans son conseil d'administration à l'époque où je les ai rachetés.
Léger acquiescement d'un geste du menton.
— Quand est-ce que je prends le relais, exactement ?
— À la seconde même de mon décès, lorsque ma puce cardiaque n'émettra plus aucun signe vital. Les clauses de la passation sont déjà en possession du comité de direction : la conscience virtuelle qui dispose de ma séquence psychologique sera aussitôt promue Président-directeur général. Pas de débat, pas de vote.
— Me faudra-t-il prévoir l'éloge funèbre de mon propre enterrement ?
La voix du clone ne révélait qu'un amusement cynique. Zachary lui répondit d'un index pointé sous son nez.
— Tu pourrais t'émouvoir de ta mort ! Même si tu n'es pas à l'intérieur de ce corps, il demeure le tien, que tu le veuilles ou non.
— Allons, t'es-tu déjà attristé du trépas de qui que ce soit ?
La réplique le prit au dépourvu. Son doigt fléchit, le bras flasque et sans force. Son double avait raison, il aurait d'ailleurs pensé et agi de la même manière à sa place. Il n'aurait jamais pu devenir l'homme le plus puissant au monde s'il s'était encombré de ce genre de sentiment.
Zachary grimaça face au sourire rayonnant de l'hologramme. Il était temps pour lui de faire une pause.
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Monologue
Science FictionZachary Adamson est l'homme le plus riche et le plus puissant de la Terre, mais même les meilleurs médecins ne peuvent plus repousser l'inéluctable : il va bientôt mourir. Reclus dans sa villa orbitale privée, il discute avec celui qui devra hériter...
