CHAPITRE 65

5.3K 525 133
                                    

Appuyé contre la rambarde en bois, Lukas émiettait les restes de pain de son sandwich, pour les jeter dans l'étang. À ses pieds, les canards venaient manger en cancanant bruyamment. Alexeï le regardait faire avec un sourire, attendri de le voir si lumineux en nourrissant simplement quelques oiseaux. Honteux, il prit son téléphone pour immortaliser la scène d'une photographie. Le soleil faisait scintiller l'étendue d'eau, et un vent tiède agitait les feuillages. La situation était ironique. Lukas était né ici. Ils auraient pu se rencontrer à Moscou, devenir amis, et plus. Il n'aurait jamais connu Ash. Alexeï ne pouvait s'empêcher de trouver la vie injuste. Elle avait mis Lukas sur sa route, et il était tombé amoureux de l'inaccessible.

— Hayden nous obligeait toujours à garder un bout pour nourrir les canards, quand on pique-niquait au parc, expliqua Lukas avec un sourire amusé.

Le brun revint près de son ami, et rassembla les quelques emballages de leur déjeuner pour les jeter. Ils avaient visité un musée durant la matinée, et avaient prévu de rejoindre les amis du blond au Parc Gorki. Lukas était impatient de découvrir les attractions à sensation.

— On y va ? proposa Alexei en se levant.

Lukas hocha la tête et récupéra sa veste en jean. Alexeï fourra ses mains dans ses poches, et ils reprirent leur chemin pour finir le tour de l'étang et reprendre la voiture. Plus de la moitié du voyage du brun s'était écoulé, et Alexeï ne savait toujours pas s'il était heureux qu'il leur reste encore quelques jours, ou s'il avait hâte que la torture prenne fin. Comment garder bonne figure quand, pour lui, les balades en tête-à-tête avaient une autre signification ? Il avait l'impression que ses sentiments étaient visibles, qu'il enchaînait les boulettes. Soit le brun était particulièrement naïf et aveugle, soit il avait remarqué, mais l'ignorait.

Lukas se figea soudainement. Son regard avait capté des taches de couleur vives. Une aire de jeu pour enfants se trouvait à leur droite, avec des toboggans, des balançoires, et même un bac à sable pour les plus petits. L'ancien soldat fronça les sourcils, et avança vers le petit portail qui donnait accès à l'espace, comme attiré par un aimant. Il n'entendit pas son ami l'interpeler, et ne réagit que lorsqu'il sentit une main sur son bras.

— Je connais cet endroit, constata-t-il à voix haute, avant de se tourner vers Alexeï. Je jouais ici.

Ses souvenirs d'enfance refaisaient surface, brutalement. Il se revoyait s'envoler sur la balançoire, poussé par sa mère, tomber du tourniquet, faire des courses de toboggan avec ses amis, être déçu quand l'heure venait de partir. Il se souvenait du bonheur qu'il avait de jouer ici, après une dure journée passée à l'école, à se faire catégoriser comme un cancre, paresseux et incapable. Soudain, il redressa la tête, et fixa un chemin, qui menait à la sortie sud du parc. Il l'emprunta, tel un automate, Alexeï sur les talons, qui n'osait rien dire.

Lukas avait parfois essayé de se souvenir, mais sa vie en Russie était floue. Son esprit semblait l'avoir effacée de sa mémoire, comme pour le protéger. Il sortit rapidement du parc, et ses pieds le guidèrent à travers quelques rues qu'il reconnaissait, comme des fantômes surgissant du passé. Il s'arrêta devant une maison moderne, et fronça à nouveau les sourcils. C'était pourtant bien là, juste à côté de celle aux volets bleus.

— Tu as trouvé quelque chose ? demanda doucement Alexeï en frôlant ses doigts.

Le contact eut l'effet d'une décharge électrique. Lukas eut le souffle coupé en regardant cette maison moderne, qui ne ressemblait en rien à la sienne.

— Tout a brûlé, murmure-t-il, horrifié. J'habitais ici, mais c'était une maison en brique rouge avec un perron. Il y avait un arbre, et une balançoire accrochée à une branche. Il n'y a plus rien.

Toucher le ciel [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant