Chapitre 1- D'étranges yeux

27 2 0
                                    


[...] Le Grand Chaos est sans conteste la plus grande catastrophe que notre univers ait connue. Ainsi, je demande l'autorisation d'enquêter sur les causes de ce désastre. Il n'y a pas de doute que les élémentalistes soient impliqués dans ce cataclysme. [...]

Extrait d'une lettre de Jules Arthiur au conseil de l'Académie des sciences.


Le jeune homme se démenait dans la marée humaine qui le cernait. Ses yeux cherchaient en vain la sortie de cet imbroglio de couleurs et d'odeurs. Ces dernières affleuraient à son nez avec ardeur, et ne produisaient qu'un horrible dégoût. Trop de senteurs s'étaient mêlées. La force des épices, la fumée de viandes, et l'acidité et l'âcreté des fruits se joignaient à l'odeur des habitants.

Et de ce que le garçon percevait, certains ne possédaient pas de baignoire, et dédaignaient les bains publics.

Soudain, il sentit sa botte glisser dans le sol boueux, il agita les bras devant lui et s'agrippa in extremis à un commerçant qui lui agitait ses produits sous le nez. Le jeune homme souffla, il n'était pas passé loin d'un bain de boue. Il jeta un regard gêné au vendeur et lui demanda la route la plus proche vers sa destination : au livre d'or.

Après un remerciement, le garçon soupira bruyamment. Tout ça pour des fichus bouquins ! Pendant un court instant, l'idée de mentir à son maître lui effleura l'esprit, et si le libraire n'avait jamais reçu ses livres ?

Il soupira, jamais il ne le croirait, sa culpabilité s'afficherait sur son visage comme le soleil dans le ciel.

L'apprenti tendit les bras devant lui pour forcer le passage. Mais il était dur d'être respecté dans une foule aussi dense en étant plus petit que la plupart des gens. De nouveau perdu dans la marée humaine, il réussit à obtenir un autre itinéraire d'un marchand persistant qui lui agitait ses carottes sous le nez.

Après une bataille acharnée pour trouver le chemin, il s'extirpa enfin de la foule. Il faisait face à une ruelle aux murs crépis de bleu, qui débouchait un peu plus loin sur un escalier tortueux.

L'odeur et la cacophonie du marché se dissipèrent peu à peu dans la ruelle vide. Le jeune homme s'arrêta en remarquant le panneau qui marquait sa destination, et il détailla celle-ci.

La librairie n'offrait rien d'exceptionnel au premier abord, ni même au second. La devanture verte s'écaillait et montrait la vieillesse du bâtiment. Les vitres déjà bouchées par des livres s'obscurcissaient plus encore sous une couche de poussière. Le jeune homme distinguait à peine le reflet blond de ses cheveux dans la vitrine opaque de saleté qui encadrait la porte d'entrée. Celle-ci, décorée de fleurs et de gravures autrefois dorées, semblait venir d'un autre monde.

Il entra et une petite cloche de cuivre tinta mélodieusement. Contrairement à ce que laissait penser l'extérieur, l'intérieur était spacieux, grand, et tout en profondeur.

À l'accueil se tenaient à gauche deux fauteuils anciens molletonnés verts et une table basse en bois massif marquée par divers liquides. En face de l'entrée, en bas de quelques marches de marbre gris et miel, la librairie en elle-même : ses bibliothèques anciennes de bois foncés par le temps, et leurs livres plus ou moins gros, proprement rangés.

Sur la droite, un comptoir de marbre gris jonché de livres de comptes qui laissaient supposer l'ancienneté et la prospérité de l'établissement. Derrière ce bureau, une grande bibliothèque sous verre contenait les plus précieux livres de la librairie et les plus anciens. Et derrière ce grand comptoir, l'air austère, la barbe broussailleuse et l'œil noir, un homme le fixait.
Le garçon sursauta, il ne l'avait pas vu, trop occupé à détailler l'endroit.

Nelwene (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant