La lumière de l'Espoir - Acte 2 - Partie 1

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Le temps passe toujours trop vite. Nous autres mortels, nous croyons toujours que ce que nous avons autour de nous est acquis, famille, amis, position sociale.

La vérité, c'est que rien de tout ceci ne l'est. La famille s'en va, tôt ou tard ; les amis disparaissent à l'autre bout du monde, un jour ou l'autre. Quant à la fortune, les philosophes nous ont assez instruit quant à sa volatilité.

Nos souvenirs, eux-mêmes, peuvent nous être dérobés. Et si l'on n'y prend pas garde, on se réveille bientôt, au soir de sa vie, sans avoir accompli autre chose que le babillage routinier de la vie quotidienne.

Le temps passe toujours trop vite.

Mais au sein de ce chaos tumultueux qu'est la vie, "pleine de bruit et de fureur", comme le disait jadis le poète, il est parfois des étincelles qui brillent comme des étoiles au milieu des ténèbres.

Elles naissent on ne sait comment, de la rencontre entre deux êtres. Elles apparaissent l'espace d'un instant, consumant tout sur leur passage, avant de s'en aller à tout jamais. Ne reste alors que leur souvenir, pour celui qui aura su les regarder avec attention.


Beckett était de ceux-là. Depuis qu'il avait été baigné dans la plus intense des lumières, il s'était donné pour seul but de la revoir.

Alors il s'était donné tout entier à l'art de la forge. L'apprenti en proie au doute avait cédé la place à un compagnon talentueux, qui lui-même avait bientôt succédé à Maitre Rinpo comme maître forgeron.

Il maîtrisait désormais tous les secrets de son art, avec une virtuosité reconnue sur tout U-topos.

Parvenu à la force de l'âge, Beckett avait fait prospérer l'atelier de son vieux maître au-delà de toute espérance. Il avait fallu rénover et agrandir les lieux, car il recevait de nombreuses demandes de parents qui souhaitaient lui confier leur enfant, inspirés par son exemple. Il les acceptait avec empressement, car il avait tant de commandes que des bras en plus étaient les bienvenus, ne serait-ce que pour les acheminer jusqu'à Ulmia.

C'est pourquoi il avait fait paver, à son propre compte, la route qui menait jusqu'à son atelier.

Il faut dire qu'il avait été bien aidé par les transformations d'U-Topos. La dimension était en effet soumise à une vague de troubles comme elle n'en avait pas connu depuis les temps anciens. Une société secrète, qui se faisait appeler la Conjuration, s'était donnée pour objectif de mettre fin à la dynastie régnante. Pour cela, elle multipliait les coups d'éclat, attentats sur des personnalités du Sénat, attaques de bâtiments civils. Trois ans auparavant, celle-ci avait réussi à détourner un vaisseau de passagers civils et à le faire s'écraser sur Chacanis, une planète jumelle de Ulmia. Les répercussions avaient été immenses, la répression féroce.


Rien ne semblait pouvoir arrêter la progression de cette fédération sinistre. On disait, qu'elle adorait des dieux antiques, capables de pouvoirs qui dépassaient l'entendement.

Pour faire face à cette menace, la Famille Royale avait dû, sur l'insistance du Sénat, doubler la garde royale sur tous les mondes habités, et limiter l'intensité des voyages spatiaux. Un nom revenait souvent, celui du Grand Chancelier Rikum, qui pouvait tenir la dragée haute même à la Famille Royale. Son ascension avait été fulgurante, et l'on murmurait à demi-mots qu'il s'adossait aux guildes associées d'Ulmia et Chacanis.

Beckett était relativement préservé de la rumeur du monde. Même si la route était plus empruntée qu'auparavant, c'était avant tout, ses compagnons qui l'empruntaient, assistés de leurs apprentis. Une seule question lui brûlait les lèvres. Il la posait à chaque convoi qui revenait de la ville.

- Comment va la princesse ? demanda-t-il à un jeune homme d'une vingtaine d'années, occupé à ramener les bœufs dans leur enclos après un long voyage à la ville.

Beloc soupira :

- Mon Maitre, les nouvelles sont toujours les mêmes. Cela fait trois mois qu'elle n'a plus paru en public. Il paraitrait qu'elle se serait cloîtrée dans ses appartements au château.

Il resta silencieux quelques instants, puis sa mine s'éclaira.

- En revanche, j'ai une bonne nouvelle ! En rentrant, j'ai fait un détour par le spatioport, pour demander aux gardes ce qu'ils pensaient de notre nouveau modèle de fusil anti-émeutes. L'officier de la garnison le trouve tellement efficace qu'il a demandé à ses supérieurs, que tous les spatioports d'U-Topos en soient équipés. La commande devrait bientôt être acceptée. Nous devrions donc recevoir d'ici la fin de la semaine une commande dix fois supérieure !

Beckett ne put s'empêcher de sourire.

- Excellente nouvelle mon garçon ! Nous allons pouvoir nous préparer pour la réceptionner. Rien d'autre à signaler pendant le voyage ?

- Oh, si, il y a un homme qui a fait le chemin avec nous jusqu'ici. Il a dit être un vieil ami à vous. Il tenait absolument à vous voir, nous l'avons donc emmené sur l'une de nos charrettes. C'est un riche commerçant de Chacanis, Maitre Budo. Il a aussi ajouté qu'il était le frère de Maitre Gino.

Beckett sentit son sang se glacer. Il n'avait eu aucune nouvelle de Budo, depuis cette nuit, où la princesse l'avait chassé de l'atelier. Lorsqu'il s'était levé le lendemain matin, dame Alys et lui avaient disparu, comme dans un rêve.

Il n'avait jamais revu la princesse. Il lui avait écrit une lettre, quelques jours après son départ. Elle ne lui avait jamais répondu. À bien y réfléchir, c'était assez logique. Une princesse n'avait déjà pas assez de temps pour elle-même, alors comment aurait-elle pu en avoir pour lui répondre ?

Malgré tout, il ne s'était pas découragé. En fait, il n'attendait pas vraiment de réponse à ce courrier, il souhaitait simplement lui faire savoir qu'il allait bien.

Aussi avait-il continué à lui écrire, tous les mois. Au début, pour lui faire part de ses progrès. Et puis par la suite, pour lui faire part de ses réflexions. Evoquer comment la forge se mettait tout entière au service de la Famille Royale, totalement dévouée face aux nouvelles menaces qui secouaient U-Topos. Que pouvait-il faire de mieux, après tout ?

Mais pour l'heure, il allait devoir affronter un autre souvenir du passé.

Les Chroniques de l'Intermonde I : La Lumière de l'EspoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant