17. Si je n'étais Caelus...

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« N'as-tu pas peur de moi ?

Pourquoi ? Qu'es-tu donc ? Un bien ou un mal ?

Un bien évidemment !

Qui aurait peur d'un bien ? »

Caelus


Deux jours avant la chute de Mecia


Des griffures rosées traversaient le ciel blanc. L'océan se reposait. Zara pouvait aussi bien nager dans ses eaux calmes que marcher à sa surface ; rien ne semblait le déranger. Elle émergea des eaux certaine d'avoir retrouvé le bon chemin.

« Diel s'est éveillé. Mais il ne parle pas encore. »

Le bibliothécaire se tenait à la frontière des vagues. Il avait entendu son retour, ou peut-être l'attendait-il depuis dix ans. Ses pieds nus s'enfonçaient dans le sable mouillé. Le phare en arrière-plan s'était élevé de plusieurs étages. Des rouleaux par milliers emplissaient ses rayons. Le projet prenait forme.

« Caelus, reconnut-elle.

— Je ne vois pas beaucoup d'êtres dans cet univers capables de traverser des océans tels que Diel. Qui êtes-vous vraiment, Zara ? À quelle race appartenez-vous ?

— Je suis une humaine de Mecia. Ceux qui manipulent la magie se nomment là-bas des Architectes.

— Magie ? Architectes ? Typiquement ce qui ne m'avance en rien – tant que je n'aurai pas ajouté votre monde à mes entrées. Vous faites bien de me le rappeler. Pourquoi êtes-vous revenue vers moi ?

— J'ai besoin d'un conseil. »

Caelus lui sourit comme s'il se moquait d'elle.

« Vous avez besoin ! Savez-vous qui je suis, Zara ? Les dieux viennent me demander conseil. Les anges me vendraient leur âme pour une précieuse information. Je suis l'un des plus puissants de cet univers. Ce savoir que je possède, d'autres le monnaient de leur vie. Qu'aurais-je à faire d'une amibe égarée telle que vous ?

— Ceux qui pérorent de leur puissance ont rarement le temps d'en profiter. Apprenez l'humilité, sinon un autre dieu prendra votre place. »

Sa répartie plongea Caelus dans le plus grand étonnement. Qui se permettait de lui répondre ainsi ?

« Vous venez me demander un conseil, jeune humaine, et à la première occasion, vous m'insultez ! Revenez donc me voir dans mille ans. »

Le bibliothécaire tourna des talons et marcha en direction de son phare. Des nuées de cormorans et d'albatros criaient en désordre. Zara courut derrière lui. Ses pieds s'enfonçaient déraisonnablement dans le sable et la tiraient en arrière. Caelus ne souhaitait pas la voir. Sa meilleure porte d'entrée dans le monde supérieur se fermait. Le loquet tiré, elle pouvait frapper des heures durant, personne ne viendrait plus lui ouvrir.

En une phrase, elle avait trahi Fen, Ygdra et Mecia. Zara trébucha contre une pierre assassine et s'effondra dans le sable.

« On dit qu'Alexandre le Grand, l'un des plus célèbres empereurs de la Terre, rencontra un jour le philosophe Diogène le Cynique. »

Zara leva la tête. Caelus l'observait avec insistance.

« Diogène se trouvait allongé sur un banc, poursuivit-il. Le jeune Alexandre l'aborda : – Je suis Alexandre. – Et moi Diogène, le cynique. – Demande-moi ce que tu veux, je te le donne. – Fort bien. Ôte-toi de mon soleil. – Comment ? répondit Alexandre, scandalisé. N'as-tu pas peur de moi ? – Pourquoi ? Qu'es-tu donc ? Un bien ou un mal ? – Un bien évidemment ! – Qui aurait peur d'un bien ?

Après cet épisode, Alexandre aurait confié « si je n'étais Alexandre, je voulais être Diogène ».

— Je ne connais pas cet Alexandre, ni ce Diogène.

— Vous êtes insolente, jeune humaine. Prête à défier les dieux. Ce pourrait être un mal comme un bien. Moi, qui suis historien, je navigue entre les légendes en essayant d'extraire des faits. Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu une vérité, aussi je vous en remercie. Si je n'étais Caelus, je voudrais être Zara !

— Merci du compliment... je suppose.

— Diogène vivait nu dans un tonneau.

— ...je supposais. »

Il l'invita à se relever et le suivre sous une arche de pierre qui ouvrait le rez-de-chaussée. Une douce lumière inondait les rayonnages savamment classés. Ces rouleaux de parchemin n'avaient rien de matériel ; ils n'étaient qu'une interface pour une information abstraite, organisée selon les lois du monde supérieur. De la Noosphère, comme la nommait Caelus.

« Alors, cette mission est importante pour vous ?

— Je ne sais pas ce qui est important ou ne l'est pas.

— Venez. »

Ils marchèrent jusqu'au centre de l'étage. Des tables d'étude et des pupitres de bois y étaient disposés en cercle, bien trop nombreux pour un seul bibliothécaire. Caelus recevait-il de l'aide d'autres esprits de la Noosphère ?

« Demandez et j'essaierai de satisfaire à votre demande.

— Mon monde est menacé.

— C'est toujours ce qu'ils disent. Mon monde ! Dans les premiers temps, lorsque je n'étais pas encore installé ici, je parcourais la Noosphère en me nourrissant de savoir. Et les empereurs, les seigneurs, les puissants envoyaient leurs émissaires astraux quérir mes précieux conseils. Que de fois arrivaient-ils porteurs de ces mots plein de fatalité : mon monde est menacé, mon monde s'écroule !

Je les renvoyais alors. Car ils ne parlaient pas d'un monde, mais d'eux-mêmes. Ils parlaient de leur royaume. De leur pouvoir. Voire de leur simple existence. Et ils disaient : mon royaume s'effondre ! Je vais être remplacé ! Et je répondais : d'autres viendront après vous. Pourquoi me fatiguer ?

— Ce n'est pas cela. Des démons se sont infiltrés depuis le monde supérieur... cette Noosphère. Ils ont installé dans certains esprits le désir de pouvoir et ils ont donné les moyens d'acquérir ce pouvoir. Des armées immortelles et invincibles marchent désormais sur Palm. Des armées maudites. Il s'agit d'un combat pour ou contre la vie.

— Que dois-je vous répondre ? Des étoiles disparaissent. Des mondes meurent. Je ne sais pas de quels démons vous parlez ; je vous le dirais si j'en savais plus. Je ne sais rien.

— J'ai besoin de pouvoir.

— C'est une bien dangereuse demande. »

Caelus l'étudia.

« Je ne possède que des informations, expliqua-t-il. Des adresses. Je peux vous guider vers quelqu'un...

— Guidez-moi.

— Si je vous envoie là-bas, je ne peux pas garantir que vous n'y perdrez pas votre âme.

— Je suis prête.

Il soupira.

— Je le sais. Suivez-moi. »


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Oui ! Caelus fait des blagues ! Voilà :p

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant