Le monstre

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         « Et si tu me racontais tout maintenant ?

         Itori regarda Nigori sans aucune réaction. Celle-ci venait de briser le silence qui s'était installé lors du repas. Ce visage hautain avait finalement décidé de rester une nuit de plus.

         - De quoi tu parles ? Demanda-t-elle finalement après avoir pris le temps de savourer dîner.

         - Je suis au courant pour ce qu'il t'arrive.

         Pendant quelques secondes, la jeune fille-girafe me regarda sans comprendre, puis ses grands yeux noisette s'écarquillèrent. Elle rougît et plongea brusquement son regard dans son assiette.

         - Alors ? La relança Nigori, doucement mais fermement

 Mine boudeuse.

           - Si tu es au courant, je ne vois pas ce que je suis sensée te raconter.

         - Je connais ta situation, mais je veux l'entendre de ta bouche, car tu sais mieux que moi ce qu'il se passe.

         - Et pourquoi je devrais te raconter tout ça ? Itori fit la moue. La culpabilité l'atteignait. Nigori l'avait logée, nourrie, et elle s'en voulait d'agir comme ça, malgré elle.

         - Je t'ai vue il y a deux jours, encerclée par la bande de Sobu.

         Nigori sentit un léger tremblement quand elle mentionna son nom. Ses poings, sur la table, étaient serrés. Une goutte tomba sur la nappe. Puis une autre. Elle leva les yeux. Elle pleurait. Itori, cette fille cachant constamment ses sentiments, cette fille donnant cette image de quelqu'un de fort, cette fille prenant tout le monde de haut,... Cette fille pleurait.

         Embarrassée de l'avoir fait pleuré, l'hôte posa maladroitement une main sur son épaule. Ses larmes coulaient sans retenue.

         - Pourquoi ?! Cria-t-elle dans ses larmes. Pourquoi il m'a prise pour cible ?! Je ne lui ai rien fait !  J'étais à peine arrivée ici ! Je faisais de mon mieux pour changer ! Je m'étais juré de ne plus jamais être comme avant, et voilà où cela m'a menée ! Je suis toujours aussi pitoyable !! Pourquoi rien n'a changé ?! Je m'étais juré de changer, mais ma situation est restée la même ! Seule ! Isolée ! Détestée ! Pourquoi rien n'a changé ? Pourquoi ?!

        Elle avait relevé son visage maculé de larmes vers Nigori, comme si c'était à elle de répondre. Celle-ci était totalement pétrifiée. Elle ne savait pas ce qu'elle vivait, mais elle portait un poids très lourd sur ses épaules. Elle la serra contre elle, en lui caressant doucement les cheveux. Itori continua, se vidant de ce qu'elle avait sur le cœur.

        - Jusqu'à l'année dernière, je n'avais rien d'une fille. Je me battais tout le temps. Et ça depuis toute petite. En maternelle, on me disait que j'étais moche, alors je frappais. Une fois, j'ai été déchirer les peluches des autres enfants. Je faisais une énorme crise. Les enseignantes prirent peur et appelèrent ma mère. Les parents des autres enfants me considéraient comme un monstre, et les enfants venaient me le répéter. Alors je les frappais. Les garçons étaient les pires. Ils me tiraient les cheveux, ils cassaient mes affaires, ils me menaient la vie aussi dure que je menais la leur. Tour à tour, je passais d'une école à une autre. J'ai toujours été isolée, violente, et considérée comme un monstre. Des rumeurs sur moi circulaient. Bien évidemment, elles étaient fausses, ou bien exagérées. Tout le monde avait peur de moi. Je les ai tous méprisés.

        En fin d'année dernière, encore une fois, je devais changer de lycée. En début d'été dernier, mon père a eu un accident et n'en est pas ressorti vivant. Je restais enfermée toute la journée dans ma chambre. Un soir, en sortant de ma chambre, j'ai entendu du bruit dans la pièce où est le sanctuaire de mon père. Discrètement, j'ai regardé dans l’entrebâillement de la porte, et j'ai vu ma mère, qui pleurait, à genoux devant la photo de mon père. Elle lui parlait de moi. Qu'elle ne savait pas quoi faire. Qu'il restait peu d'écoles qui ne me refusaient pas. Que j'étais si violente. Que je lui donnais beaucoup de travail. Elle le suppliait de l'aider.

        J'ai alors compris à quel point je lui rendais la vie dure. Ma mère m'avait toujours caché ça. A chaque fois que je rentrais, elle me souriait et m'offrait un verre de lait. A chaque fois que je devais changer d'école, elle me disait que ce n'était pas grave, que ça allait s'arranger, qu'elle me trouverait la meilleure école au monde. Elle s'était mis tous les parents à dos pour me défendre. Mais malgré ça elle gardait toujours le sourire. Pour moi. Pour me protéger.

        J'ai alors décidé de changer. Je me suis juré de ne plus jamais frapper personne. De ne plus jamais me défendre. J'ai essayé d'être plus féminine. Je me coiffais, mettais des robes, des accessoires féminins. Ma mère ne comprenait pas, mais elle était au comble du bonheur. Et encore aujourd'hui, je lui mens, elle croit que tout va bien. Que j'ai des amies. Que je suis heureuse.

Nigori songea qu'elle avait senti le mensonge puisqu'elle était venue les voir au QG.

        - Mais en arrivant ici, continua Itori, rien n'a changé ! Ma réputation m'a précédée ! Je me fait harceler, je suis seule, et même sans plus frapper, rien ne s'améliore.

         Nigori s'apprêta à lui dire que ce n'était pas sa réputation, que les Kuromambas harcelaient au hasard, et qu'il l'avait trouvée comme cible idéale. Elle voulut lui dire que si elle était seule, c'était simplement parce qu'elle n'était jamais allée vers les autres, qu'elle n'avait jamais tenté le contact. Mais Itori ne lui laissa pas le temps d'intervenir.      

        - Mais lui... il est le seul à avoir réagit. Il m'a sauvée au moment où je perdais espoir. Il m'a défendu, seul contre toute une bande. Il m'a sauvée, moi, le monstre.

Elle posa sa main sur sa tête, se souvenant de la caresse de sa main sur ses cheveux.

        - Tu parles de Kito ? Demanda NIgori

Ses yeux s'illuminèrent :

        - Tu le connais ?

        - Vaguement, répondit-elle.

        Il semblait que ce Kito avait l'habitude de sauver les filles, sous ses airs désintéressés. Le visage d'Itori changea complètement d'expression.

        - Quand il est venu, j'étais si... si impressionnée, si soulagée ! Il m'a prise dans ses bras, il m'a caressé les cheveux,... Il a été si gentil avec moi ! C'est le seul qui a fait attention à moi !! Le seul qui m'a traité comme une fille, le seul qui-

        - Bref, tu es amoureuse, la coupa Nigori, amusée.

        Itori rougît violemment. Elle bégaya en essuyant vivement les larmes qui avaient roulé le long de ses joues :

        - C- ce genre de chose ne m'arrivera jamais. C'est juste que... il m'a sauvé alors je suis reconnaissante, c'est tout ! »

        Elle sourît devant un argument aussi peu crédible et se leva pour débarrasser la table. En revenant, elle lui lança au visage une serviette de bain.

        « Au bout du couloir », ajouta-t-elle.

Rouge comme une pivoine, elle se dirigea vers la salle de bain.

La Brigade des Détectives AssociésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant