3. MULOT

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« Une sourie verte

Qui courrait dans l'herbe

Je l'attrape par la queue (...) »


Le sommeil de Jamie fut tapissé de songes étranges et de cauchemars suintants. Des bêtes velues et aux crocs affutés se cachant dans l'obscurité et bondissant sur elle en hurlant. Et, à chaque fois, elles se transformaient en une Eve grimaçante ou en une Mégane à la bouche sanguinolente.

Elle émergea, à l'aube, bien avant le tintement de son réveil, complètement trempée. Ses cheveux perlaient de sueur et son tee-shirt lui collait à l'épiderme comme une seconde peau. Elle était en nage. La respiration haletante, elle se passa une main tremblante sur le visage.

Allongé au pied de son lit, Apollo la fixait, l'air inquiet. Le doberman pencha la tête sur le côté et émit un petit jappement. L'aboiement résonna étrangement contre les murs, s'y répercutant par échos. La jeune fille lui adressa un sourire qui se voulut rassurant.

— Ne t'inquiète pas, mon grand. Tout va bien, c'était juste un mauvais rêve.

Elle écarta sa couette et se leva. Ses pieds se crispèrent sur le parquet gelé. Elle se dirigea d'un pas hésitant vers la salle de bain adjacente. Apollo ne la quitta pas du regard, suivant le moindre de ses gestes de ses prunelles luisantes. Elle s'aspergea le visage et plaqua ses bras contre sa poitrine.

Le miroir lui renvoya une face chiffonnée et tiraillée, aux yeux rougis. Elle se palpa les paupières et les frotta par lents mouvements circulaires. Puis elle retourna dans son lit.

Malgré l'heure matinale, le sommeil ne revint pas. La simple pensée pour les monstres fous de ses cauchemars le faisait fuir à toutes jambes. Jamie remonta son drap jusque sur ses épaules frissonnantes et elle appela Apollo. Le chien la rejoignit. Il cala sa grosse tête sur son ventre et la regarda, immobile, statue de marbre noir. Elle caressa le velours de ses oreilles.

— On va attendre que mon réveil sonne, lui souffla-t-elle. Rien que toi et moi. Ça te va ?

Pour toute réponse, l'animal se passa une langue rose sur la truffe.

°°°

Le bus brinquebalait et tanguait. Bondé, les corps s'y pressaient les uns contre les autres. Jamie était assise entre une petite vieille à la peau constellée de fleurs de cimetière et un cadre en costard à la cravate verte.

Odeur de tabac froid. Sueur rance et parfum de grand-mère. Une vague senteur de déodorant. Et des voix à n'en plus finir qui se mélangeaient, graves et aiguës, rauques et suaves.

La lycéenne serra son sac contre elle et réajusta ses écouteurs. Face à elle, lui tournant le dos, la farouche silhouette de Noah Henderson se détachait, grande et élancée. Il se tenait à l'une des barres métalliques verticales, imperturbable malgré la démarche chaotique du bus.

Docs Martens basses au cuir élimé. Pantalon noir et troué. Sweat sombre beaucoup trop large. Bretelles bleues et blanches pendant mollement le long de ses jambes, uniques touches de couleur. Il détonnait, incontestablement.

Le jeune homme pivota brusquement la tête vers elle, comme s'il avait senti son regard. Leurs yeux se croisèrent. Il l'observa longuement, sans ciller et sans laisser transparaître la moindre émotion. Elle se détourna prestement.

Au moment où le véhicule se stoppa devant le lycée, Jamie se leva précipitamment et sauta du car, pressée de s'éloigner du garçon. Elle disparut dans la foule compacte.

Les LionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant