Chapitre 35 (partie 1)

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                                                               Cela faisait déjà une vingtaine de minutes que Lucie, jeune et toute nouvelle créature de la nuit au sang noble et pur, se tenait debout sans broncher au centre d'une armada de vampires.
Tous étaient assis confortablement dans des estrades luxueuses garnies de sièges en cuirs, contemplant d'un air hautain la vampire anciennement humaine comme un simple parasite ou sujet de contemplation.
Cela faisait également une bonne vingtaine de minutes que Lucie s'était retrouvée seule, ses amis et protecteurs n'étant que des vampires bétas se retrouvant obligés d'attendre devant la salle.
Et Sir Auguste Fletcher n'était toujours pas là.
Le juge, un vampire imposant par son physique gras et ses sourcils arqués et figés, énuméraient sans se lasser d'innombrables articles de lois donnant permission à la séance de tenir lieu.
Ceux qui assistaient à cette étrange cérémonie, se mouvaient dans un étrange silence ou murmuraient dix mille choses (sur Lucie, sur le juge, sur eux-mêmes...).
Au loin, le bal continuait mais la musique ne parvenait aux oreilles des gens présents dans la salle que lorsqu'un énième retardataire ouvrait la porte.
Une énorme pendule était placée derrière le juge, et se balançait, sans jamais faillir, dans un rythme lourd et régulier.

Pong... Pong... Pong...

Essayant de faire fuir la migraine qui repointait le bout de son nez, Lucie se focalisait d'un œil vif sur le visage mou du juge -juge qui, selon elle, avait au moins pour honneur de mettre fin au stéréotype du vampire perfectionné et magnifique auquel on pouvait être confronté dans les livres- Le visage calme de la jeune vampire ne laissait aucune trace de frayeur ou de fatigue, pourtant ses yeux la brûlaient si terriblement qu'elle devait se retenir de grogner.
Elle sentait le regard du Comte Alban de Kamerovsky, placé en hauteur à sa droite.
Il ne l'avait pas lâché des yeux depuis qu'ils étaient entrés.
La jeune vampire se souvenait du sourire en coin qu'il avait adressé aux garçons qui n'avaient pas pu l'accompagner à l'intérieur de la salle.

Pong... Pong... Pong...

Le juge, continuait inlassablement son charabia juridique vampire et parlait d'une voix pâteuse, parfois en levant les yeux vers Lucie, l'énumération des noms des personnes présentes dans la salle.

Pong... Pong... Pong...

Et Fletcher n'était toujours pas présent. La tension montait et parcourait tous les nerfs du corps de Lucie.
Il était pourtant la seule personne assez familière censée l'aider durant cette séance.

Pong... Pong... Pong...

Elle n'osait pas bouger, ne voulant montrer sous aucun prétexte aux yeux des hautaines créatures présentes un quelconque signe de faiblesse.
Soudain, la porte s'ouvrit et des pas résonnèrent crescendo sur le sol en marbre noir.
Contrairement à la salle de bal, celle-ci était de nouveau sombre à peine éclairée par d'étranges flammes vertes. Le sol sombre en damier paraissait sans défauts, sans rayures, parfaitement lisse et froid.
Les pas se rapprochaient peu à peu, et les visages se tournèrent. Même le juge s'arrêta un instant de parler.
- Sir Auguste Fletcher, fit le juge de sa voix lente et pâteuse. Vous êtes venus plus tôt qu'il n'était prévu. Me trompe-je ?
Le vieux mage rentra dans le champ de vision de Lucie. Il lui fit un clin d'œil, marchant d'un pas lent mais assuré dans sa robe sombre aux fils dorés et argentés pour enfin s'incliner légèrement devant le juge.
- Je crois, votre Seigneurie, que ce petit jeu aura assez duré. Venons-en au fait vous pris-je.
Le juge arqua un sourcil devant le ton agacé du vieux mage qui souriait pourtant devant lui, puis haussa les épaules. Il racla sa gorge trois fois, afin de s'éclaircir la voix et attirer l'attention de l'assemblée.



- Nous sommes réunis aujourd'hui, commença le juge de sa voix de limace, afin de traiter du cas du sujet ici présent revendiquant son appartenance à la famille Ameth.
Tous les vampires se mirent à regarder en chuchotant plus bruyamment la jeune fille, certains semblant agacés par une telle audace (que n'avait pas demandé Lucie en passant) d'autres semblant plus intéressés que jamais par ce qui allait suivre.
- Lucie Peters, présenta le juge, née humaine et morte le 13 novembre 2016 suite à un accident, a été retrouvée le jour suivant à son domicile transformée en vampire sans aucun signe apparent de dégénérescence.
Lucie grimaça. Dégénérescence... Voilà ce qui attendait les pauvres humains qui rencontraient un vampire alpha trop gourmand.
A vrai dire, Lucie se demandait tout de même au fond d'elle-même si toutes ces migraines et ses brûlures de rétines n'étaient pas là des signes de dégénérescence. Ses yeux la piquaient de plus en plus.
- Suite à cela, continua le juge, le sujet ici présent – Lucie Peters – fit connaissance avec Sir Auguste Fletcher qui en conclu une possibilité d'appartenance au clan Ameth.
- Pas une possibilité, corrigea Fletcher, une certitude.
Plusieurs vampires se mirent à grogner et à se plaindre.
Comment une simple humaine pouvait avoir le culot de prétendre à ce clan ?
- Silence s'il-vous-plait ! clama le juge. Il est de mon devoir de rappeler à Sir Fletcher...
Les yeux globuleux du juge se posèrent sur ledit Fletcher de manière lasse.
-... que le clan Ameth a disparu au cours du 17 décembre 1919 et qu'à ce jour aucun Ameth n'a jamais refait surface. La demande de reconnaissance de lien entre Lucie Peters et la famille Ameth a donc été rejetée par le Cercle Rouge.
Certains vampires sourirent et gloussèrent devant leur joie. D'autres grognèrent de mécontentement. Ce fut au tour de Fletcher de se racler la gorge.
- Vous avez finit ? demanda Fletcher d'un ton détaché.
- Oui.
- Bien.
D'un geste théâtral, Fletcher fit tournoyé sa robe et se rapprocha de Lucie pour mettre en évidence les yeux de la jeune fille.
- Monsieur le Juge, permettez-moi de vous demander de quelle couleur sont les magnifiques iris de cette Damoiselle ici présente ? Je rappellerai à l'assemblée que le juge étant contraint au sortilège de vérité, il lui sera impossible de nier des faits évidents.
Le juge cligna plusieurs fois des yeux, un peu surpris par la question, puis bougonna dans sa barbe avant de se décider à le dire à voix haute.
- Améthystes, admit le Juge.
Des chuchotements résonnèrent dans la salle. Lucie fronça les sourcils, légèrement agacée.
- Cette seule preuve parait démontrer que cette jeune enfant n'est autre qu'un membre du clan Ameth. Vous savez tous comme moi qu'un vampire se caractérise par la couleur de ses iris, et que les yeux des vampires ne peuvent mentir. Je demanderais donc au Juge, pourquoi le Cercle Rouge a-t-il proposé un rejet prématuré sans n'avoir jamais croisé le regard de celle qu'ils jugent ?
Gêné, le juge hésita à parler :
- Eh bien... le Cercle Rouge a jugé vis-à-vis des archives qui...
- « Archives qui », quoi ? demanda Fletcher. Qui ne relatent que la disparition du clan Ameth, un soir où il n'y avait aucun témoin, aucune preuve, aucun fait ?
Soudain Sir Auguste Fletcher sortit une fiole de sa robe noire. Fiole où était contenu du sang.
- J'ai analysé le sang de cette enfant, fit-il, vous pouvez vérifier qu'il correspond avec celui présent dans cette fiole. Et ma découverte n'a fait que confirmé mes doutes par deux fois.
Lucie se retint de hurler devant la démonstration du vieux vampire.
Comment avait-il pu récupérer de son sang, sans son approbation ?!
- Et qu'avez-vous découvert ? fit soudain la voix du Comte Alban, d'une voix grave.
Fletcher et lui croisèrent leur regard.
Lucie aurait pu jurer déceler entre eux autant de mépris que de méfiance. Fletcher claqua des doigts et deux vampires s'approchèrent : l'un avait une soucoupe remplie d'un étrange liquide et l'autre avec un énorme diamant.
Fletcher s'approcha de Lucie lui sourit et lui murmura : « Ca va faire un peu mal ». Il sortit une lame de sa robe et coupa légèrement la paume de la jeune fille. Il posa ensuite le diamant dans la main ensanglantée de Lucie.
C'est alors que le diamant s'illumina d'un violet magnifique qui éclaira la quasi-totalité de l'assemblée.
- Ainsi donc..., fit Alban, ainsi donc le clan Ameth est de retour.
La foule semblait stupéfaite, prise de court.
- Oui, confirma le Juge dans un murmure.
- Tout à fait, aquiesça Fletcher. Et je vais vous expliquer pourquoi !
Le vieux vampire jeta soudain le contenu de la fiole dans la soucoupe. L'assemblée resta dans un étrange silence, dans l'attente d'un nouveau miracle, et Lucie put entendre de nouveaux l'énorme pendule.
Pong... Pong... Pong...
Soudain le liquide de la soucoupe se changea et devint rouge. Du sang. Le sang se mit à bouillir, et de nombreux vampires s'exclamèrent, pétrifiés d'horreur.
Que cela voulait-il signifier pour eux ? Lucie ne comprenait pas, mais était dégoûtée par le spectacle.
- Un sortilège interdit, constata le juge.
Fletcher acquiesça en confirmant :
- Le Garzol, monseigneur. La dernière Ameth aurait donc fait don de sa vie pour rendre sa descendance humaine.
Le silence se fit.
Tous les vampires attendaient d'un œil curieux le nouvel avis du juge. Certains semblaient fascinés, d'autres heureux de la nouvelle, d'autres mécontents. Lucie se sentie lasse d'être debout, lasse d'être parmi toutes ces créatures sombres et hautaines, lasse de ne pouvoir rien dire, lasse du sourire étrange qu'affichait Fletcher.
Pong... Pong... Pong...
- Il y a tout de même quelque chose que j'aimerai comprendre, intervint Kamerovsky. Seigneur Juge ?
Tous les visages se tournèrent vers lui, et Lucie le regarda également avec intérêt.
Des millions de questions fusaient dans son esprit après ce qu'avait révélé Fletcher. La jeune fille s'étonnait de cette soudaine prise de conscience de l'importance qu'elle représentait dans le monde des vampires.
Tout cela lui paraissait presque grotesque et sorti tout droit d'une mauvaise pièce de théâtre shakespearienne.
- Nous vous écoutons, accepta la juge.
Le comte se tourna vers Auguste Fletcher qui était toujours en train d'admirer la soucoupe d'un œil distrait.
- Si mes souvenirs ne me jouent pas des tours, continua-t-il, n'est-il pas vrai que vous, Sir Fletcher, étiez un proche de la défunte et anciennement dernière représentante du clan Ameth ?
Lucie plissa les yeux.
Effectivement, cette information ne lui avait pas été donnée à elle non plus. Cette assemblée se trouvait être de plus en plus intéressante.
- Il est vrai, concéda Fletcher dont la voix s'était soudainement faite plus sérieuse. Malheureusement nous nous étions assez éloignés le jour tragique de sa mort.
- Personne n'a jamais réellement su ce qui se passa la nuit de la disparition du clan Ameth. Comment pouvez-vous confirmer son décès ?
Le regard de la jeune vampire se fit plus perçant. Fletcher prit un air plus grave, comme s'il se remémorait des souvenirs enfouis car douloureux.
Il y eut un court silence avant qu'il ne finisse par répondre :
- Nous autres vampires, commença-t-il (sans doute plus pour Lucie que pour les autres personnes présentes :), avons des corps qui, lorsque nous mourrons de manière autre que naturelle, se transforment en pluie d'or et d'argent. Lorsque je me suis rendue sur les lieux, le lendemain du drame, quel ne fut pas mon chagrin en découvrant le sol du châtelet des Ameth recouvert d'un manteau de cette même pluie.
- Cela ressemble plus à un assassinat qu'autre chose, intervint Kamerovsky.
- Ah oui ? fit platement Fletcher. Monsieur le comte, vous n'y croyez pas vous-même. Les Ameth ont toujours été les plus puissants d'entre nous, même le Grand Barde le Renégat n'a jamais pu les atteindre pendant la grande guerre.
A la mention de l'auteur du journal qu'elle et les jumeaux avait « empruntés », Lucie sentit son cœur se serrer étrangement. Des frissons lui parcoururent l'échine.
Pourquoi la simple mention de ce nom lui faisait autant d'effet ?
Auguste Fletcher sortie alors une autre petite fiole de poche, d'un geste encore une fois très théâtral.
- Ceci, déclara-t-il en la faisant passer au juge, m'a permis de rendre compte de l'utilisation d'un sortilège très puissant et très ancien.
Fletcher mis l'accent sur le contenu de la fiole. De la poudre dorée et argentée scintillait sous la faible lueur de la pièce. Mais lorsque l'on faisait tout à fait attention, on pouvait constater comme de petits rubis mêlés à la poussière.
Lucie crut qu'elle n'arriverait jamais à se retenir de vomir.
De la pluie d'or et d'argent.
L'équivalent d'un cadavre de vampire.
- Ces petits rubis démontrent que le Garzol fut le sortilège responsable de la disparition du clan Ameth. Ce sortilège, pour ceux d'entre vous qui l'ignorent, permet de transformer la descendance d'un vampire en humain. Tout cela a un prix bien sûr, le prix d'une vie qui se voulait quasiment éternelle.
- Très bien, acquiesça Kamerovsky. Cependant vous êtes également le mieux placé, Sir Fletcher, pour savoir qu'un nombre incalculable de sortilèges existe. Qui nous dit que cette Damoiselle n'ait pas eu recours, ou ait été victime, elle aussi à un de ces sorts pour se transformer en vampire ? 



Lucie ne put contenir sa colère plus longtemps, devant l'absurdité de la question, et s'exclama d'une voix forte :
- Elle est bien bonne celle-là !
Tous les visages se tournèrent vers elle. Fletcher lui avait pourtant dit de ne pas prendre la parole.


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