Le Chant des Drows -Première Époque : Le Maître des Ombres (Première partie)

Chapitre 2 : Premiers nuages

Il est dans le monde des choses extrêmement rares, des phénomènes si exceptionnels qu'ils marquent la mémoire des hommes pour longtemps.

Comme la colère d'Adriel d'Asnyar.

Dans la grande salle de réception du palais royal de Vétil, vaste pièce claire et luxueuse, le roi, sur son trône, et tous les courtisans et conseillers présents étaient richement vêtus et souvent bedonnants. Ils regardaient avec stupeur, voire effroi, le grand elfe aux cheveux d'argent. Même Yashen, qui l'avait accompagné et se tenait deux pas derrière lui, était stupéfait. La situation était certes dramatique, mais il n'avait jamais vu son tuteur aussi furieux.

« ... Et le duché de Bayes aussi n'est plus que cendres ! Et le comté d'Artof doit être tombé à l'heure où nous parlons ! ... Tout l'ouest du royaume a été ravagé ! Chaque jour, Isco détruit de nouveaux villages, changeant leurs habitants en monstres pour grossir ses troupes ou les massacrant tous sans pitié ! Combien de temps allez-vous encore perdre ainsi à ne rien faire ! »

Un lourd silence suivit. Ses interlocuteurs étaient partagés entre la gêne et l'hébétude, quelques-uns fulminaient qu'un elfe ose un tel esclandre, mais personne ne se risquait à répondre, jusqu'à ce que quelqu'un applaudisse du fond de la salle.

Tous se tournèrent et les courtisans s'inclinèrent, comme un homme encore jeune s'approchait, à cet instant aussi beau que sérieux. Il était grand et bien bâti, habillé avec soin, et une longue tresse châtain-roux battait ses reins. Une barbe fine couvrait ses joues, et ce n'est que lorsqu'ils virent ses yeux mauves qu'Adriel et Yashen le reconnurent enfin.

« Enfin des paroles sensées, dit-il.

- Prince Bylonn ? » s'enquit Yashen.

Bylonn sourit et Yashen revit un instant le petit garçon avec lequel il avait joué un soir, une vingtaine d'années plus tôt.

« Comte de Valgor ! C'est incroyable, vous n'avez pas changé !

- Je ne peux pas en dire autant de vous...

- Bonjour, seigneur Adriel.

- Mes respects, Altesse. »

Yashen et Adriel s'inclinèrent.

« C'est gentil d'être passé, reprit Bylonn. Je me sens moins seul.

- Dois-je en conclure que vous désapprouvez la passivité officielle ?

- Oh, mais ils ne sont pas passifs voyons, ironisa le prince. Ils attendent le retour des émissaires qu'ils ont envoyés à Isco. »

Adriel leva les yeux au ciel.

« Ils doivent être morts depuis belle lurette... »

Bylonn haussa les épaules et fit signe à ses deux amis de le suivre. Il gagna le trône et s'inclina devant son père, pour reprendre avec le même cynisme que précédemment :

« Quel dommage qu'Isco n'ait pas eu la bonne idée de nous renvoyer leurs têtes... Au moins, vous n'auriez plus d'excuse pour attendre. »

Derrière lui, Adriel et Yashen échangèrent un regard.

« Je vous trouve bien insolent, mon fils... »

Bylonn croisa les bras et fit la moue.

« C'est qu'on m'a appris à me soucier du bien-être de mes sujets... Qu'assurer leur épanouissement et leur sécurité était mon devoir...

- Voilà bien le petit-fils de Rolane, murmura Adriel à Yashen qui sourit et opina.

- Justement, continua Bylonn qui avait entendu. Mon grand-père disait souvent qu'un roi incapable de protéger son peuple... »