Isaac - 2

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 L'ennui avec les écharpes, c'est qu'elles sont souvent désireuses de grappiller du temps au chaud. Se casser le nez pour excès de vitesse n'est pas rare à la maison. Encore ce matin, ça n'a pas raté ! L'écharpe s'est échappée de mon cou pour venir s'emmêler autour de mes jambes et me faire chuter. Et la voilà, étalée sur le sol, le chauffage la soulageant un peu du froid.

Mon livre a glissé jusqu'au guéridon en manquant de peu la lampe de ma mère. Le prendre avec moi est devenu un automatisme, je ne m'en rends même plus compte. Il est partout où je vais : dans ma chambre, au salon, de la cuisine à la salle de bains, de mon lit à la fenêtre. C'est presque maladif : je le connais par cœur. Je pourrais le jouer, répéter les passages jusqu'à plus soif. Je serais capable de le lire dans le noir avec, pour seule lumière, celle du dehors qui filtrerait à travers mes volets toujours mal fermés.

Je me relève et replace l'écharpe autour de ma tête. Je la monte un peu haut, j'ai toujours froid aux joues. Mets le livre dans mon sac.

Il ne fait pas partie du programme au lycée, pourtant il le devrait. Au début, on y voit un homme noir avec de grosses lèvres. C'est une caricature, comme on en voyait pendant la Seconde Guerre mondiale. À bien y réfléchir, je ne suis pas sûr qu'il intéresserait grand monde, les gens commencent à en avoir marre de tout ça. De la Shoah. De la catastrophe. On leur rebat les oreilles avec ça. Pourtant, c'étaient quand même des gens. Et c'était vrai.

Ma routine matinale pourrait se décrire comme suit : je me lève, je fume, je me lave, j'essaie de trouver deux chaussettes qui s'accordent à peu près bien, je saute dans un jean, j'engloutis des céréales, je sors et je fume. Même pour deux minutes. Même en attendant le bus. D'abord lentement, je savoure ; je tousse aussi, forcément. Je joue avec la fumée, fais des cercles, la ravale. Je tousse encore et l'écrase avec mon pied lorsque le bus se rapproche, en rêvant à la prochaine. Comme une valse interrompue ou un slow. Au début, on regrette, on fait la gueule. Puis on y retourne et là, c'est encore meilleur : on est plus sûr de soi, on se laisse porter par la musique.

A l'Encre des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant