Chapitre 15

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Je m'extirpe difficilement de l'habitacle et regarde autour de moi. De nombreux souvenirs me submergent. La cour ronde entoure une jolie fontaine qui représente un certain dieu grec dont je ne me rappelle pas le nom, mais sur lequel nous passions notre temps à monter avec Léa quand nous étions gosses. On avait tellement peur de nous faire gronder qu'on le faisait en cachette.

Sur ma gauche, un petit portillon en bois mène sur le jardin qui jouxte la maison. L'herbe semble avoir été tondue récemment, signe qu'elle est souvent occupée, ou en tout cas entretenue. Je me demande qui vient régulièrement ici, il n'y a plus vraiment d'enfants dans la famille. La vieille balançoire sur laquelle je pensais voler est toujours là. Seul le trapèze manque sur la structure abîmée. Je m'étonne que mon grand-père ne s'en soit pas débarrassé depuis le temps. Au décès de ma grand-mère, dix ans auparavant, il avait décidé de faire un gros ménage et il ne souhaitait pas garder les jouets d'enfants installés dans le jardin. Il avait même rasé la cabane en bois que l'on avait construite avec mon frère pour s'amuser aux aventuriers. Je suppose qu'il a fini par oublier, ou par ne plus avoir le courage. Ou peut-être que finalement, il a désiré garder un dernier souvenir de notre enfance.

À droite de la maison, ce qui fut jadis une piscine est visiblement à l'abandon. Elle a été couverte d'une grande bâche bleue et les dalles en granit ont été retirées.

Je sens mon cœur accélérer dans ma poitrine. Quelque chose me met mal à l'aise, sans réellement comprendre ce que c'est. Je me racle la gorge et lance un regard à Chloé qui me sourit pour me donner du courage. Mon stress n'est sûrement pas très discret, et j'apprécie sa manière de ne pas émettre de jugement sur mon comportement. Elle n'a aucune idée de ce qui l'attend, et elle semble solide comme un roc sur lequel j'aurai bien besoin de me reposer.

Je souffle un coup, montre le chemin de la main, et Noisettes m'emboîte le pas.

– C'est grand, manifeste-t-elle en explorant la propriété des yeux.

– Ouais, acquiescé-je avec dédain. Il aime bien faire étalage de sa fortune.

En tout cas, c'était le cas à l'époque. Est-ce que les choses ont changé désormais ? Est-ce qu'il a changé depuis tant d'années ? Je jette un dernier regard autour de la maison, et mes yeux se posent sur le petit morceau de ruisseau que l'on aperçoit à l'arrière de la bâtisse. L'adage dit que l'eau coule sous les ponts. Est-ce possible qu'une onde claire et saine ait pu remplacer l'eau croupie que ma famille représentait ? Si Alex a décidé de m'inviter, peut-être est-ce une façon de faire table rase du passé et de profiter une ultime fois de mon grand-père ? Et peut-être que lui-même, en vieillissant, s'est rendu compte qu'il ne voulait pas manquer ses derniers instants avec sa petite fille ? Bon, là je vais un peu loin, mais ça vaut le coup d'essayer. Essayer de passer la journée en leur donnant le bénéfice du doute, et sans leur rentrer dedans pour toutes leurs erreurs que je garde en mémoire.

Parce que tu serais capable de faire ça, toi, la grande gueule en toute circonstance ?

Un ricanement étrange, ressemblant plus à un hoquet, s'échappe de ma gorge, et je toussote. On y est, maintenant. Plus de retour possible. Alors, autant faire en sorte que ça se passe bien.

Nous nous arrêtons sur le seuil de l'immense porte marron qui se dresse devant nous. Elle a l'allure d'une entrée de manoir hanté. Sombre, en bois dur et noueux. J'attrape le crochet d'acier en forme de poing et le frappe trois fois contre l'acajou, puis m'empresse de fourrer mes mains dans mes poches. Le battant gauche s'ouvre sur mon frère et je soupire de soulagement. Je pourrais presque lui sauter dans les bras tellement je suis reconnaissante de voir son visage en premier.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant