Chapitre 6 La chasse et l'ours .

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Au début de l'après-midi, j'étais au pied de la montagne, à l'orée de la forêt. J'avais salué ma famille, pris de la nourriture, et j'avais une semaine pour trouver du gibier. Pour le moment, je marche, et gravit la pente. Je tourne, me guidant aux rainures que j'ai laissées sur les arbres après chaque fin de saison. J'arrive devant une petite falaise, moins de quinze mètres de haut. Je décroche le carquois de ma cuisse, et l'accroche à mon sac, dans mon dos. Je cale mes pieds, et commence à me hisser, lentement. Le regard vers la roche qui me surplombe, j'avance mes mains l'une après l'autre, laissant mes pieds suivre le mouvement. A mi-distance, un sailli rocheux me permet de me reposer. Je m'y accroche, calant mes pieds et mon sac de manière à pouvoir me rattraper. Je continue ensuite l'ascension, car je sais que le jeu en vaut la chandelle. Arrivé en haut, je marche quelques mètres jusqu'à un creux dans la roche, devant lequel repose des planches. Je souris, et les repousse.
J'étais tombé sur cet abri au cours de ma seconde chasse, il y a deux ans. Je dépose mes affaires, et jette un regard à l'intérieur, rien n'as changé : la petite couchette en feuille dans un coin, et de l'autre côté une cheminée naturelle et une fenêtre taillée à même la roche. Avant, ça devais être une maison, ou du moins une cabane. Je ressortis, me plaçais au bord de la falaise, et épousait le paysage du regard. Mon père m'avait un jour dit que même les peintures de chasse du roi et des nobles paraissaient pâles à côté de ce paysage. Des touches de rouge, de jaune, de bleu, de vert... La falaise donnait sur tout le village, et sur les champs environnants. C'est tout simplement magique. Je soupire, et entreprend les rénovations de mon abris. Je sors les feuilles désormais mortes, et les remplace par des nouvelles que je retire des branches tombées. Ce travail manuel me fait du bien, il occupe mon esprit pendant une heure ou deux. Je nettoie le four de fortune, et replace une roche plate sur le trou dans le plafond. Ensuite, je sors ma nourriture et grignote lentement. Par la fenêtre, je vois le soleil décliner à l'horizon. Je termine mon pain, attrape quelques bouts de ficelles que j'ai emportées, et je me dirige à la lisière des bois. J'ai toujours chassé sur les hauteurs, car personne n'y va jamais. Je me mets en marche, me guidant aux symboles que j'avais tracés sur les rochers. Je sais où trouver des terriers, et je m'en approche à pas de loup.

Avecle soir approchant, lapins, souris et autres rongeurs se cachent dans le sol,et je n'ai qu'à leur tendre un piège devant. Je place des pierres devantl'entrée, en faisant attention à laisser une petite sortie. Devant cettesortie, cachée sous une fine couche de poussière, je dépose ma ficelle que jefais passer sur les bords des cailloux, avant de la faire remonter au-dessus duterrier. Si un lapin passe, il appuiera sur la corde, ce qui la resserrera etle piègera. Je répète l'opération sur quatre autres terriers, puis retourne àla falaise. J'irais chercher mes collets au petit matin, et j'entreprendrais latraque à proprement parler.
Le lendemain, juste avantque le soleil ne se réveille, je sors de mon abri et retourne chercher mespièges. Avec satisfaction, les quatre premiers collets ont une prise mais,arrivé devant le dernier, je ne retrouve qu'une terre creusée violemment. Jeregarde autour de moi quand, à quelques mètres, j'aperçois le voleur. Un oursbrun, plus grand que moi, aux griffes acérées et au regard méchant. Il tiententre ses mâchoires mon lapin. Un couteau à la main, je recule lentement,espérant qu'il ne me remarque pas. Mes yeux restent fixés sur lui, et je nevois pas mon pied heurter une racine. Je m'écroule par terre, alors que l'ourstourne la tête vers moi. Je croise son regard vide, dans lequel je vois unelueur de convoitise. Je recule lentement, alors qu'il s'approche de moi sans sepresser. S'il le pouvait, je suis sûr qu'un sourire sarcastique apparaitraitsur son visage. Je recule plus vite, mais pas assez. Sa tête se retrouve àquelques centimètres de la mienne, alors qu'il dévoile ses crocs dénudés.Finalement, il peut lui aussi sourire de mépris. Dans ma tête, les imagesfusent sans s'arrêter : moi déchiqueté de la tête aux pieds par l'ours,moi dévoré par les charognards, moi qui ne rejoindrai jamais ma famille, moiqui ne pourrais plus vivre ! Je repousse ses visions et lance mon bras enavant. Un geste brusque, précis, ma lame découpe l'un des yeux du grizzly. Ilhurle et se relève sur ses pattes, la douleur l'aveuglant dans tous les sens duterme. Je me relève et cours. Vite, toujours plus vite, je marque la distanceentre lui et moi, pas question qu'il me rattrape. Je l'entends continuer àhurler. J'arrive à l'abri, j'entre en trombe. Je jette mes affaires sur mondos, en attrapant l'arc à la main et en accrochant le carquois à ma cuisse. Aumoment où je sors, ma tête est attirée par une masse en mouvement. L'ours estlà, définitivement en colère. Dans son unique œil, je vois sa rage, son enviede me découper en petits morceaux. Je recule et bande l'arc. Ma première flèchepart, suivie d'une deuxième, d'une troisième, d'une quatrième, je videlittéralement mon carquois sur la bête sans que cela la dérange. Je jette monarc sur le côté, tout en reculant. A ce moment, mon pied manque de déraper dansle vide : je suis arrivé au bord de la falaise. Mon corps tremble, leslarmes me montent aux yeux, mais refusent de sortir. Aux portes de la mort, ondit qu'un être voit tous ses sens travailler à leur maximum. Je perçois chacunede mes douleurs, chacun de mes souffles, chacun de mes muscles. L'ours et moi,moi et l'ours, nous savons que je suis pris au piège. Un plan, sûrement ledernier, germe dans mon esprit. Je me tiens immobile, sans un regard enarrière, attendant la mort. Le grizzly se lève sur ses pattes arrière, lesgriffes dirigées vers moi. Au moment où elles s'abattent sur moi, je saute,vers la falaise. Le temps semble passer au ralenti. Je tombe, l'ours aussi, sonélan l'emporte. Nous tombons, mais j'ai mon plan. Ma vie ne défile pas devantmes yeux comme je m'y attendais, mais je jette mes bras en avant, pour saisirle saillis sur lequel je m'étais reposé hier. Mes doigts l'agrippent, et jereste accroché. L'ours n'as pas cette chance. Il tombe et s'écrase plusieursmètres en contrebas, le corps comme une poupée de chiffon. Je me hisse sur le sailliset inspire une grande bouffée d'air, la savourant longuement. Je porte la mainà mon cœur, qui bat si fort qu'il donne l'impression qu'il va exploser. Mesaffaires sont tombées aussi, je m'en fiche. Je reste ainsi, le sourire auxlèvres, pendant plusieurs minutes. Je descends alors la falaise, pour récupérermes affaires. Toutes mes flèches ont dû se casser en tombant avec l'ours, maissa peau devra me permettre d'en racheter d'autres. Je me pose à côté de l'ours,passant ma main dans sa fourrure. Tant bien que mal, je le cache à l'abri,avant de le recouvrir d'une toile simple. Je remonte chercher mon arc et leslapins, puis je redescends auprès de l'ours. Je monte mon campement, avant dem'atteler à la fabrication d'une luge de fortune. A quoi me servirai l'ours sije ne pouvais pas le ramener ? Je reste dessus toute la journée, etj'achève enfin mon œuvre, alors que la nuit tombe. J'allume un feu discret etm'enroule dans mes couvertures, à l'intérieur d'une cabane de branchage. J'aieu mon cota d'émotions pour la journée.    

Le sabre chantantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant