Chris - 2

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Quand j'arrivai à l'appartement auquel m'avait donné rendez-vous Chris, qui était plus spacieux que celui-ci de Loïc tout en restant simple et mieux rangé, il y avait quatre autres personnes : trois mecs et une nana qui avait l'air aussi « pauvre fille » que moi, ou qui avait l'air « pauvre fille » pour de vrai, elle. Ce fut la réflexion que je me fis. Moi, ce n'était qu'une peau que j'enfilais, un déguisement pour le soir, une façade que j'exposais. Je doutais de faire vraiment illusion et, bien qu'elle soit dans les bras d'un type qui la collait d'un peu trop près pour que ce soit décent et qu'elle ait l'air déchirée, ça se voyait à des kilomètres qu'on n'était pas pareilles toutes deux. Un peu comme les rapports que j'avais avec les perchés d'une manière générale : en ayant quelques accointances avec eux, mais tout en restant différente. Un côté petite bourgeoise perdue dans la fange, peut-être.

Je ne pris que plus vivement conscience du mensonge que je représentais : aux autres comme à moi-même. J'en eus même honte. On a honte de se faire passer pour ce que l'on n'est pas quand on sait parfaitement que l'on peut en sortir en un claquement de doigts. Qu'il nous suffit de le décider, alors que les autres, ceux qui ne trichent pas, n'ont pas ce luxe.

Je ne sais pas si vous avez vu ce film, avec feu River Phoenix et Keanu Reeves : My Own Private Idaho ? Keanu Reeves y incarne un prostitué mais issu d'une famille riche et influente, et il y a ce décalage terrible avec les autres personnages qui est que lui peut sortir de ce milieu quand il le veut : il lui suffit d'arrêter, juste. Ça donne un côté petit bourgeois dégueu qui traîne avec les défavorisés, certes parce qu'il est mal dans sa peau, mais aussi parce qu'il le veut bien. Et, d'ailleurs, arrive une scène où lui fait le choix d'en partir finalement, alors que les autres n'ont que celui de le regarder se barrer sans pouvoir le suivre...

N'applaudissez pas ces stars qui se prêtent au jeu de faire un « dirty job » pour un divertissement télé, ou vont vivre pendant quelques temps dans un environnement très éloigné de leur confort habituel. Eux peuvent arrêter dès qu'ils le souhaitent.

Bref, je me rendis compte que j'étais là-dedans. Connasse ultime qui jouait de l'avilissement parce que je le voulais, parce que j'avais besoin de ça, sur le moment, mais je n'étais qu'en vacances, en intérim, en passage transitoire... C'était probablement celle-ci, ma singularité, parmi eux : à chaque instant, je pouvais me casser et je le ferais forcément à un moment. Ceci n'était pas ma vie. Ceci était mon caprice.

Chris ne se comportait pas avec moi comme Loïc, en terrain conquis. Il ne m'embrassa pas, il ne me présenta pas comme sa chose, il ne fit pas comme si on était ensemble. Pourtant, je lui avais demandé d'autres partenaires de sexe - c'était ce qu'il y avait eu de sous-entendu, clairement, dans notre échange -, et il me faisait me retrouver avec trois personnes, en plus de lui, donc à cinq, et ce avec un devenir que j'ignorais.

Il me présenta les autres. Il y avait donc Audrey - la fille qui avait l'air ché-per -, jolie si elle n'avait pas tiré la tronche aussi fortement, je fus persuadée direct qu'elle me détestait, Saïd, son mec, ou du moins celui qui la tripotait, Rolfman - joie des surnoms à la con, que j'entendis plus tard appeler « Rol » aussi : je vous le présenterai donc sous ce dernier nom -, un blondinet à l'air sympa et tout à fait mignon, et Bims - je ne saurais jamais son vrai prénom non plus -, un renoi un peu enveloppé, avec l'air fort, trapu, qui n'aurait vraiment pas été le type de mec sur lequel je me serais retournée, en temps normal, mais dont la masse physique éveilla alors mon imaginaire. On discuta un peu, même si j'avais du mal à songer à autre chose que ce qui allait se passer, ensuite. Quelle configuration se mettrait en place ? Comment ? Si je ne me faisais pas seulement des plans et si les mecs n'allaient pas juste se barrer ? Je ne savais vraiment rien. Je me laissais couler, du coup. Je n'aurais pas aimé organiser quoi que ce soit plus précisément, de toute façon, mais je ne pouvais m'empêcher de songer. Les mecs me posèrent des questions. Je restai silencieuse sur tout ce qui était personnel, mais le fait d'avoir Audrey en face de moi me poussa à ne pas jouer plus que ça un rôle non plus.

Je commençais à m'assumer, en fait. Vraiment. Dans ce que j'étais et non ce que je feignais être. Le fait de connaître un peu mieux Chris, à force, aidait. Et de ne pas connaître les autres... C'était plus facile, comme ça. Je craignais toujours autant de développer une relation qui pourrait sonner le glas de celle que j'avais avec Ayme, et tomber amoureuse serait le pire, alors avoir ces rapports de groupe était parfait, pour moi. Ce n'était pas avec un mec que je bavardais. Ce n'était pas un homme, dont j'attendais le contact sur mon corps. C'était plusieurs, avec la distance supplémentaire du fait que je ne savais pas exactement lesquels ce serait. Des corps, des mains, des chairs toutes différentes et qui se mêleraient jusqu'à rendre insignifiant le fait de savoir à qui avait pu appartenir chacune... Je n'en étais pas moins flippée, bien sûr, mais ça m'allait. C'était plus simple, ainsi. C'était ce que je voulais.

Ainsi sombre la chairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant