Chapitre 15 : Corse (mars 1785 - juillet 1786) - Chez le Bibliophile

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       Mais, je dois le dire, ce qui m'impressionna surtout dans ce cabinet de curiosités fut la peau de lion. Elle était étalée dans un angle du parquet ciré. La peau de cette bête avait aussi sa tête. Je n'avais jamais vu de lion, ni d'autres bêtes fort sauvages des contrées africaines. Cette tête de lion, avec sa crinière et sa gueule ouverte -qui montrait fièrement ses cruelles et longues dents- me fascinait tout autant qu'elle ne provoquait aucun émoi chez le colonel et Monsieur della R. La force de l'habitude, sans doute.

       J'étais jaloux de Monsieur della R...,  non pas de son aisance matérielle fort palpable,  mais de tout ce savoir, de toutes ces beautés dont il savait si judicieusement s'entourer. J'étais aussi jaloux de son attitude : alors que je me tenais bouche-bée, presque ahuri dans ma contemplation heureuse, tel un paysan mal dégrossi admirant pour la première fois un intérieur cossu, Monsieur della R... vivait cela avec une élégance morale faussement détachée et, je le comprendrais bien plus tard, très artificielle. Mais j'étais jeune alors, mon esprit critique n'était point encore aiguisé. Et ma faculté d'admiration n'était point encore émoussée.

       Pendant que le colonel et le notable continuaient à converser je me levai de mon fauteuil pour admirer de près toutes ces merveilles et scruter les livres de la bibliothèque

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       Pendant que le colonel et le notable continuaient à converser je me levai de mon fauteuil pour admirer de près toutes ces merveilles et scruter les livres de la bibliothèque. Là, déception ! Presque tous les livres semblaient être imprimés soit en italien, soit en latin. J'étais comme un mourant de soif qui atteint, enfin, un point d'eau pour s'apercevoir, malédiction, que l'eau en est salée !

       En voyant ma mine déconfite Monsieur della R... me demanda ce qui me froissait à ce point dans le contenu de sa bibliothèque.

       « C'est que, Monsieur, tous ces livres sont en italien ou en latin, langues que je ne sais point lire. » Il m'indiqua alors un angle de la pièce et, me pointant du doigt les rayonnages éloignés, m'assura, dans un sourire ironique, que je trouverais, là-bas, « tout mon bonheur ». Je m'approchai des rayonnages indiqués. « Trouver tout mon bonheur, il exagère, le vieux,» pensai-je « Il a mariné trop longtemps dans son cabinet de curiosités ! ». 

        J'atteignis cette partie de la bibliothèque sans rien en attendre de précis.

        Le premier livre que je saisis se trouva être « les Bijoux indiscrets », roman publié anonymement mais dont tout le monde connaissait l'auteur. « Bonne pioche », me dis-je, car, si je n'avais jamais lu ce roman libertin, j'en avais beaucoup entendu parler. Je saisis un second livre : « Le Sopha, conte moral » : c'était un conte qui n'était pas plus moral que moi je suis Chevalier de l'Ordre de la mouche à miel. Troisième livre : « Thérèse Philosophe ». Philosophe, vraiment ? Je le feuilletai, encore un érotique.  Me rendant vite compte que tout ce côté de la bibliothèque était non seulement en français mais aussi, - suprême intérêt - uniquement composé de romans érotiques, je n'en revenais pas. De craquantes lectures.  Se trouvaient aussi des livres de gravures très appétissantes et plus qu'évocatrices. Un délicieux enfer.

   Je me retournai vers Monsieur della R... qui me fit un clin d'œil entendu. Il semblait me dire, mieux, il m'affirmait : « Oui, petit, il est temps que tu te déniaises ! »

    Voilà des lectures qui seraient plus appétissantes que le « Cours de Mathématiques, à l'usage de la Marine et de l'Artillerie, Elements de géométrie, trigonométrie rectiligne et trigonométrie sphérique » par Bézout, dont l'étude m'était à la fois stimulante et d'une redoutable aridité. Aridité renforcée par le « Traité et la pratique de la Trigonométrie et sur celle du nivellement » du Général de l'Espinasse, qui ne se laissait pas comprendre du premier abord. Une partie de mon être aspirait à la plus haute vertu mais, d'autre part, j'étais tiraillé par bien des désirs lancinants.

      Il fallait à tout prix que notre hôte me prêtât ces délicieux livres coquins, ces petites merveilles, dont la lecture ne me donnerait pas de maux de tête et pourrait satisfaire une autre partie de mon corps...

    Plus tard dans la soirée, alors qu'à mon grand plaisir notre hôte me prêtait autant de livres que je souhaitais, je lui demandai pourquoi il avait des romans osés en français et non en italien. 

     " C'est que,  m'expliqua-t-il, ces livres ne sont pas autorisés par la rude censure de Rome, Libourne ou Gênes, ni « à la maison »,  ni à la vente à l'étranger. Au contraire les livres légers français s'épanouissent de partout, sans nul réel obstacle, telle une armée de nymphes soignant la solitude des hommes..."

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Ouverture musicale : " Folies d'Espagne " de Maître François Le Cocq (XVIIIème siècle) (Rosario Cicero à la guitare baroque - Peintures de Luca M. Palermo)

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Premier tableau : "Le Cabinet de physique de Bonnier de la Mosson" par Jacques de la Joüe (1734 - huile sur toile)

Illustration centrale : "Wunderkammer" (Cabinet de curiosité) - XVIIe siècle - Allemagne rhénane

Tableau du bas : "Le Liseur blanc" par Ernest Meissonier (huile sur toile - 1857) Musée d'Orsay - Paris

Moi, Jean Thomas Collot -  Tome un : Au Temps des roisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant