Chapitre 21

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                                     Ce samedi-là, Lucie était partie très tôt de la maison afin de profiter de la fraîcheur du matin pour un détour en vélo avant de rejoindre les autres en cours. Pédalant calmement dans le même chemin qu'elle empruntait par cœur depuis deux ans déjà, elle savourait la bonne odeur de l'herbe mouillée, qui disparaîtrait sans aucun doute au fil de la journée alors qu'il se remettrait à neiger, ainsi que du roucoulement des petits oiseaux.
Elle n'avait pas partagé sa destination à Dylan, Aron et Byron mais avait tout de même envoyé un sms à Denis au cas où elle arriverait finalement en retard. Après tout, il était bien le seul qui aurait pu comprendre ce moment nécessaire d'intimité dans ce jardin secret qu'ils partageaient tous deux pourtant. Le seul encore présent, du moins.

Contrairement au reste de la petite ville perchée dans les montagnes, le cimetière de Penvanya se trouvait un peu plus en périphérie, au creux de la vallée. Cela prenait toujours un peu de temps de descendre là-bas, mais cela ne la dérangeait pas.
L'endroit était calme, protégé aussi bien des intempéries que des habitants, en bref un endroit où l'on pouvait parfaitement retrouver la quiétude des jours passés. Lorsqu'elle aperçut les premières stèles en granit, Lucie descendit de son vélo et le cala sur l'arbre habituel et s'étira un instant avant de rentrer à l'intérieur de la nécropole.
La jeune fille sourit.
Même en hiver, les habitants de Penvanya prenaient toujours soin de le fleurir de centaines de bouquets. Enfin, une partie des habitants. Des personnes majoritairement âgées et veuves d'un conjoint, d'un frère, d'une sœur, ou parfois d'un enfant. Cependant, Lucie ne prit pas vraiment la peine d'admirer toutes les gerbes aux couleurs chatoyantes, car elle n'était pas venue pour ça.
Elle connaissait le chemin qu'elle devait prendre et slaloma entre différentes sépultures pour se diriger vers l'extrémité nord-ouest du cimetière.
Là, un peu en marge des autres, sa tombe.
D'un geste doux, Lucie déblaya la stèle des mauvaises herbes et de la neige qui lui bouchait la vue. Elle caressa l'écriture gravée qui refaisait apparition :
« Julie Brant
18 août 1999 – 31 décembre 2014 »

Lucie sourit tristement, tellement de souvenirs lui revenaient en mémoire rien qu'en lisant ce nom. Julie était aujourd'hui la pièce manquante à un trio qui s'était formé à ce qui lui semblait être la nuit des temps. Sa meilleure amie, au même titre que Denis.
Julie avait partagé une place si importante dans son existence, qu'elle l'avait embellie, magnifiée, enrichie. De nature enjouée et toujours franche, Julie n'avait jamais su mentir. Elle avait toujours ri aux éclats, sans se retenir, vivant dans l'excès d'un bonheur qui lui était infini et qui irradiait d'un si petit cœur. Malgré toutes les moqueries qu'elle avait pu subir, à cause de sa morphologie si singulière due à sa maladie, Julie avait toujours été d'une bonne humeur sans faille en parfait contraste avec Lucie. Elle avait défié le monde entier de sa voix angélique, et tout le monde l'avait adoré pour ça.
Des défis.
C'est ce qui lui avait coûté la vie, pourtant. Le soir d'un 31 décembre, quelques secondes avant le passage à la nouvelle année. Ce n'était pas un cancer, mais une stupide chute, qui lui avait finalement hotté la vie.
Lucie ne s'en était jamais vraiment remise, encore moins que Denis, ni la famille Brant qui avait finalement décidée de partir de Penvanya. C'est pourquoi, la jeune fille s'était fait le serment d'aller la voir à leur place au moins trois fois par an, et aussi parce qu'elle en avait besoin. Besoin de lui parler, comme autrefois, de tout lui raconter dans les moindres détails.

Alors Lucie s'assit, les jambes confortablement croisées, et lui récita les derniers évènements qui avaient bousculés sa vie. L'arrivée des Free Fire, sa mort, sa nouvelle vie de vampire, ... sans se soucier du fait que son amie aurait sans doute eu autant de mal qu'elle d'accepter une telle réalité.
- Une cérémonie de reconnaissance ? s'exclama-t-elle à l'attention de la défunte. Tu te rends compte ? J'ai déjà eu du mal à assimiler le fait d'être devenue une créature de la nuit assoiffée de sang – dont il fallait déjà accepter l'existence de manière générale – alors je ne pense pas avoir besoin que d'autres vampires se penchent sur la question !
Lucie s'arrêta un instant, admirant la cime des arbres qui se dressaient devant elle, comme écoutant une question de son amie que seul le vent lui révéla dans son esprit.
- Oui, sans doute, tu dois avoir raison. Je n'ai pas peur pour moi, au fond je n'ai plus peur pour moi depuis longtemps. J'aurais sans doute préféré te rejoindre ce jour-là, tu sais...
Elle continua, plus bas, comme une confession :
- J'aurais préféré ne pas m'attacher à eux, et à leur goût de vouloir me faire vivre. Je risque de leur faire de la peine à ces Bloom, lorsqu'ils se rendront compte qu'au fond je suis morte avec toi il y a bien des années maintenant.
Lucie lui parla encore un moment, essayant de faire une démonstration de ses pouvoirs à la tombe de son amie en faisant léviter quelques feuilles mortes qui prirent involontairement feu, avant de repartir vers son vélo.
Il était temps pour elle de rejoindre la vie mouvementée du lycée – dont elle s'était plus ou moins détachée avec le temps. D'ailleurs, quelqu'un l'attendait près de son arbre.
Denis, lui aussi en vélo, l'avait finalement rejointe.
Elle se laissa un moment aller dans ses bras réconfortant, ne disant mot, et repartirent tous les deux alors que le soleil disparaissait à nouveau sous des nuages remplis de flocons.

AméthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant