Une sorcière attachée à un arbre

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J'ai pris la route du nord à l'aube - avant même que le soleil ne se lève. Les sommets des sapins se découpaient dans la nuit violacée, les toiles d'araignées étaient argentées de rosée.

Je n'avais aucune intention d'aller à Claveau : plus je restais bailli, plus j'avais de chance de tomber sur d'anciennes connaissances de celui dont j'usurpais l'identité.

Cette décision se confirma quand le chemin de terre qui serpentait entre les troncs s'élargit et s'ouvra alors sur une vaste prairie plane, piquetée de fleurs d'or. Mon chemin était une route bordée de pierres, et dont la terre laissait surgir, comme des grosses écailles, de larges dalles.

Ces dalles étaient marquées du Lion de Varna. Ainsi, même dans un royaume étranger, l'influence de la Cité Empire de Varna était si grande que les routes les plus majestueuses avaient été bâties par celle-ci. Ma destination était sans nul doute cette cité. Et alors que je suivais cette route, je regardais parfois, si à l'Est, je voyais ses hautes murailles, ses oriflammes d'or et ses tours qui montaient jusqu'au ciel.

Le silence était seulement rompu par des grésillements d'insectes d'été et mon pas régulier.

Mon itinéraire plongea à nouveau dans un petit bois aux ombres mystérieuses. L'air y était plus frais.

Ma route se scinda alors en deux. Une ancienne borne indiquait les directions, mais elle était en glyphes osmanliens, peut-être môns, et ils ne me disaient rien. Ces renseignements, cependant, étaient superflus : vers le nord, c'était Claveau. Vers l'Est, Varna.

Je prends une gorgée d'eau d'une outre fournie par Fiana, avec une dernière réflexion. Un dernier adieu à ma condition de juge, et tous les repas gratuits qui vont avec.

C'est alors que j'ai entendu une voix. Elle disait dans un râle :

« Tu partages ton eau, voyageur ? »

Une voix éraillée de fantôme, mais j'avais si soif de magie que j'en étais presque heureux.

Le fantôme en question était une vieille femme maigre comme l'espoir, solidement attachée à un tronc les bras le long du corps par plusieurs tours de corde. La corde pressait la peau et laissait à peine la place pour respirer. Ses cheveux blancs retombaient sur son visage, et c'était quelque peu effrayant, à vrai dire.

Derrière sa chevelure, la figure pâle et maigre de la malheureuse ne disait rien de bon.

Au dessus d'elle, dans l'écorce de l'arbre, on avait gravé, avec une faute, le mot « Sorcière ». Le travail typique d'abrutis.

- « Tu es vraiment une sorcière, vieille femme ? ai-je demandé en m'approchant.

- Quelle réponse me fera obtenir de l'eau, jeune homme ? »

Pour son trait d'esprit, j'ai approché ma gourde et je lui ai laissé boire tout ce qu'elle voulait, ce qu'elle fit avec bruit et gémissements de soulagement. J'ai retourné la gourde. Elle était vide.

- « Tu trouveras un ruisseau à quelques pas au nord. »

Je me tourne vers le nord et j'aiguise mes sens. Il y a de l'eau, je le sens. Sa voix, désormais plus vive, me glisse :

- « Puisque tu me sembles généreux, peut-être tu pourrais me libérer ?

- Tu es une sorcière ?

- Oui. Mais je ne te maudirai pas.

- Tu peux maudire les gens ?

- Comme tout le monde ! Mais les malédictions ne portent malheur qu'à ceux qui les croient.

- C'est bien dit. Je ne sais pas si tu es une sorcière, si tu as le cœur bon ou méchant, mais tu as de l'esprit, chose rare dans la région.

- Libère moi, mon bon, et je fais le serment, par le fleuve des morts, de ne pas te faire de mal. »

Je me suis rapproché d'elle. C'était une vieille femme usée par l'âge et son supplice, mais il y avait dans ses yeux une lumière fascinante.

- « Qu'est-ce que cela veut dire, « Par le Fleuve des Morts » ? »

- C'est un serment d'Ancienne Osmanlie. Damné pour toujours est celui ou celle qui rompt un serment fait par le fleuve des morts : il ne pourra jamais connaître le repos dans l'après vie. »

J'ai fait le tour de son arbre et j'ai trouvé un point faible dans ses nœuds. Avec ma broche en lune, j'ai cisaillé et elle est tombée à terre avec les cordes.

Je l'ai fait asseoir, massé ses blessures, et je lui ai donné à manger et à boire, encore. Malgré sa dignité et son intelligence, son corps libéré la faisait pleurer et elle sanglotait en me remerciant. Comme à chaque fois, je me disais que nul homme ou femme, aussi méchant fut-il, ne mérite d'être maltraité - même si pas un jour ne passait sans que je voie de la cruauté dans ce que le commun des mortels nommait justice.

Je l'aide à se lever et elle s'appuie sur moi. Le contact de sa peau est chaud. Elle est légère comme une colombe. Elle dégage une odeur de cendres.

- « Connais-tu d'autres serments, ou d'autres coutumes anciennes, sorcière ? »

- Tu peux m'appeler Xa, mon jeune sauveur. Et oui, la magie rituelle des serments de l'Est n'a pas de secret pour moi.

- Acceptes-tu de me les enseigner ?

- Je n'enseigne rien à personne, mais tu me sembles méritant à bien des titres. Aide moi à marcher jusque dans ma maison, le long de la rivière au nord, et nous verrons ce que je peux t'apprendre. »

Le livre des petites magiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant