IV - 1 - b. Les points de vue narratifs (ou focalisations)

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L'auteur est la personne physique qui écrit, fait publier et touche les bénéfices de l'objet-livre. Le narrateur est l'être fictif qui raconte l'histoire. Le narrateur peut être extérieur à l'histoire et la raconter en tant que témoin, spectateur de faits auxquels il n'a pas participé, ou bien être intégré à l'histoire en tant que personnage qui vit, a vécu ou vivra les événements qu'il raconte. Dans l'un ou l'autre cas, le narrateur peut adopter 3 points de vue différents pour décrire et commenter l'action de l'histoire, qui ont chacun des effets de sens et un impact sur la manière dont le lecteur va devoir lire le texte :

- Le point de vue externe : le narrateur est entièrement un spectateur extérieur. Il est limité à ses propres perceptions et n'a accès aux pensées d'aucun personnage, ne pouvant que décrire ce qu'il « voit ». Étant exclu de la psychologie des personnages, il semble neutre, objectif. Ainsi, il est dans la même position que le lecteur qui découvre le récit, et s'interroge d'autant plus sur les faits et personnages qu'il a peu d'informations.

Ex. : dans Polinka, de Tchékhov : « Les pommettes de Nicolaï se colorent de taches rouges. Il pétrit entre ses doigts un ruban délicat »  ou, à propos de Polinka : « en essuyant avec son mouchoir ses lèvres pâles ». Ici, le narrateur n'a pas accès aux pensées des personnages. Il n'a comme nous que la scène qui se joue devant ses yeux, et les répliques échangées. Mais, par la description des troubles physiques des personnages, il donne au lecteur des indices qui permettent de comprendre la jalousie et la souffrance de Nicolaï, comme la faiblesse et le désespoir de Polinka. Avec un point de vue externe, le lecteur doit décoder les indices pour mieux comprendre les personnages et l'action : il participe à la construction du sens du texte. C'est particulièrement pertinent dans le polar comme dans les scènes visant à susciter la perplexité, le mystère, le suspense sur les motivations et identité d'un personnage.

- le point de vue interne : le narrateur fusionne ses perceptions et sentiments avec ceux d'un seul personnage. Il n'est pas nécessairement ce personnage, mais il voit, sent et comprend uniquement par le biais de ce personnage, sans avoir accès aux pensées des autres personnages du récit. Il est donc plutôt subjectif.

Ex. : dans Sur l'eau, de Maupassant : « Il me sembla qu'elle faisait des embardées gigantesques, touchant tour à tour les deux berges du fleuve ; puis je crus qu'un être ou qu'une force invisible l'attirait doucement au fond de l'eau et la soulevait ensuite pour la laisser retomber. J'étais ballotté comme au milieu d'une tempête ; j'entendis des bruits autour de moi ; je me dressai d'un bond : l'eau brillait, tout était calme. ». Ici, le narrateur et le personnage sont confondus, mais ce qui compte est que seules les perceptions du personnage permettent de visualiser la scène, et que seules ses réflexions et émotions permettent au lecteur de comprendre ce qui se passe. L'intérêt est d'épouser le trouble du personnage, afin de favoriser l'identification du lecteur au personnage central, et donc son implication, son plaisir dans la lecture, comme sa réceptivité au texte. Le lecteur est ainsi invité à partager l'expérience du personnage et, donc, à adopter son point de vue sur la scène ou bien à faire un effort pour remettre en cause son objectivité : c'est donc souvent le point de vue adopté dans les textes fantastiques afin d'entraîner plus efficacement le lecteur dans l'étrange. Le point de vue interne est aussi un prisme intéressant pour la description car le décor devient, perçu par l'esprit et les sens du personnage, une toile sur laquelle se projettent la psychologie du personnage et ses émotions.

- Le point de vue omniscient : le narrateur sait tout de tous les personnages, de ce qui se passe partout à la fois, du passé, du présent et de l'avenir. Il est capable de fournir des éléments sur tout. L'intérêt réside donc dans le choix des éléments donnés au lecteur.

Ex. : dans Caroline, de Nodier, le narrateur dévoile d'abord les pensées et souffrances du mourant pour mieux nous inciter à condamner Caroline (« Se sentant près de sa fin »), puis il nous fait partager les tourments de Caroline pour nous les faire éprouver. Ainsi, le narrateur nous pousse à la fois à compatir au sort de l'amant maltraité par Caroline comme à la punition qu'elle doit subir en retour. La leçon de morale est donc doublement efficace et le lecteur comprend qu'il ne faut donc pas se conduire avec une inutile cruauté sous peine de faire souffrir autrui et d'en être violemment sanctionné. C'est donc un point de vue intéressant pour susciter la réflexion du lecteur, sa distance critique ; mais cela le place en surplomb de l'histoire, donc à distance.

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