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Je n'ai pas envie d'effacer ma page wiki. En fait, je suis fier de pouvoir exposer mon travail. C'est ma création, mon bébé. J'éprouve du plaisir à l'admirer. Dans un sens, peu importe que ma thèse soit publié ou non dans un périodique académique. Et puis, je ne sais pas si j'ai encore la volonté de défendre mes idées. Je souhaite revenir à une vie plus simple, dénuée de complexités. Me faire de nouveaux amis. Je crois que je sous-estime les joies que procurent les banalités. J'ai beaucoup dormi ces derniers mois. Je me sens beaucoup mieux. J'ai moins de cernes. Je suis moins énervé. Moins frustré. Mes pas sont plus légers.

Je vais sortir de l'appartement et prendre l'air. Il fait froid, mais ce froid est doux. Je ne sais pas où je vais. Les trottoirs sont presque vides. Les décorations de Noël jalonnent les bâtiments. Je salue et évite une femme âgée accompagné d'un petit chien qui se retourne pour me renifler. Il tire sa laisse mais est retenue fermement par la femme qui me lance un sourire. Je le lui renvoie. Je passe devant les magasins du quartier. Des odeurs de viennoiseries retiennent mon attention. J'entre dans une boulangerie. Un jeune garçon est en train de choisir soigneusement des bonbons, un à un, tout en comptant les pièces de monnaies qu'il garde d'une main. La boulangère attend, posté à l'étalage des confiseries, me fixant par moment avec une moue gênée. Elle n'a pas à s'inquiéter, je ne suis pas pressé. La sonnette de la boulangerie tonne à chacun de mes pas. Je me dirige vers une grande vitrine et la longe. J'ai bien envie d'un croissant. Le gamin paye et sors de la boutique avec un petit sac en plastique bosselé par son contenu. Alors que je le regarde sortir, la boulangère m'interpelle :

_ Bonjour Monsieur. Qu'est-ce que je vous sers ?

_ Bonjour. J'aimerais avoir un croissant s'il vous plaît.

Elle prend une pince, saisie un croissant et le met dans un sac en papier puis se dirige à la caisse.

_ On s'est déjà rencontré ?

_ Pardon ? Dis-je interloqué.

_ Vous m'avez vendu un ordinateur.

_ C'est possible...

_ Vous travaillez au RSM ?

_ Plus maintenant.

_ Ah ! Le travail, ça va, ça vient ! En tout cas, l'ordinateur marche très bien. Vous m'avez bien conseillé !

_ Tant mieux.

En même temps, je connais assez peu d'ordinateur qui fonctionne mal. Au pire, ils finissent par ramer. La plupart des clients que j'avais doivent en avoir une utilisation relativement basique.

_ Sauf que mon mari essaye d'installer un programme depuis quelques jours et il n'y arrive pas. Ça vous dérangerai de l'aider ?

_ ...

_ Je ne vous force pas ! Dit-elle en riant.

_ D'accord, si vous voulez.

_ Vous êtes gentil. Venez avec moi, je vais vous faire voir.

Je ne pensais pas devoir m'en occuper tout de suite ! Je passe derrière le comptoir et suis la dame. Je n'ai jamais vu les coulisses d'une boulangerie. 

_ Désolé, ça se trouve vous avez d'autres choses à faire de plus importants ?

_ Non, non, pas de soucis.

J'entre dans une salle chaude. Un type est en train de mettre du pain dans un fourneau. Il se retourne et vient vers nous. Il me salue en tendant son bras. Je l'empoigne sur la zone la moins sale. La boulangère lui explique que je suis là pour les aider. Il reste sérieux et utilise des phrases courtes qui n'excèdent pas les trois mots. Je le sens occupé et un peu agacé. Nous nous déplaçons à nouveau et montons des escaliers très étroits. J'aperçois l'écran d'un ordinateur déposé sur un petit bureau en contreplaqué. La femme me tend un disque. Je le saisi. Elle allume l'écran et tape un mot de passe.

_ Voilà ! Je vous laisse faire, me dit-elle.

Elle s'en va et je me retrouve seul dans une pièce étouffée de meubles et de bibelots. La tapisserie est vraiment d'un autre temps.

J'entre le disque dans le lecteur CD-ROM et m'affaire à installer le programme. C'est d'une facilité déconcertante. Je ne vois pas ce qui a pu poser problème ?

J'entends quelqu'un monter. Le boulanger vient vers moi chargé d'un grand sac en papier qu'il s'empresse de me donner. Je regarde l'intérieur et voit un assortiment de plus d'une vingtaine de viennoiseries. Je le remercie surpris et il s'en va sans me dire un mot. Je ne mangerai jamais tout ça !

Je descends au rez-de-chaussée.

_ Déjà fini !? S'écrie la boulangère.

_ Oui, ce n'était pas bien méchant.

_ C'est vraiment très gentil à vous.

_ Je vais peut-être payer pour... dis-je en surélevant le sac de viennoiseries en sa direction.

_ Non, non ! Surtout pas ! Vous acceptez de nous aider, c'est un juste retour !

_ Bon... Alors merci.

Deux clients attendent statiques d'être servis. Je salue la boulangère et m'en vais rapidement. J'ai presque peur de me diriger dans un autre magasin et d'être à nouveau reconnu. Je m'aperçois que nous ne nous sommes même pas présentés. J'ai aidé de parfaits inconnus. C'est assez étonnant et plaisant. A la réflexion, j'aurais pu ne rien faire et me barrer avec le sac de viennoiseries ! Ils n'ont pas vérifié l'installation et m'ont fait confiance.

Je m'assieds sur un banc près d'une fontaine pour déguster mon croissant. Des pigeons se mettent à se rassembler autour de moi. Cela faisait longtemps que je n'en avais pas vu. Je frotte mes lèvres vigoureusement à chaque bouchée pour retirer les miettes. Des bruits de pas attirent mon attention. Je tourne la tête sur le côté et vois Emilie accompagné d'un jeune homme. Je ressens comme une décharge électrique se propager dans mon corps. Il est temps de rentrer ! Je me lève spontanément et allonge le pas en direction de chez moi. Je marche plusieurs dizaines de mètres et ralentie.

La journée avait bien commencé mais cette rencontre impromptue m'a refroidi. Emilie n'a pas changé. Sauf qu'elle semble plus heureuse que dans mes souvenirs. Aurait-elle été aussi heureuse avec moi ?


LucasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant