...Quand elle devient Margot

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Le bus nous débarque juste à l' entrée de la gare de Rotterdam, qui est entourée de combis de police. Sentiment de panique. Mais visiblement la flicaille est focalisée sur les arrivées de trains, et nous pouvons nous éloigner sans être inquiétés le moins du monde.

Je ne connais pas du tout la ville. On prend le premier bed and breakfast que l'on trouve, et nous nous installons dans la chambre. Elle est bien plus cossue que la chambre d'Amsterdam qui nous avait saigné toutes nos économies.

J'ai à peine posé mon sac sur le sol que je m'affale sur le plumard. J'ai vraiment besoin de me reposer. Je n'avais presque pas dormi de la nuit, Frida non plus. Nous en profitons pour faire une longue sieste, blottis dans les bras l'un de l'autre. Sans qu'elle s'en rende compte, je savoure cet instant. Je sais que ce sera la dernière fois que je la tiens entre mes bras. Je la serre fort contre moi, et je mémorise son odeur, son corps, la courbe de ses hanches. J'aimerais tant la prendre une dernière fois. Mais je le sens. Avec ce qu'elle avait subi la veille, ce n'est pas le moment de la forcer à quoi que ce soit.

Le soir, je l'emmène dans un restaurant. Pas le resto ultra chic, juste un petit chinois sans prétention, je n'avais pas les moyens de plus. Mais j'avais lu dans son esprit, il y a quelques jours, qu'elle aurait bien aimé avoir un petit dîner romantique et prendre son temps, se faire servir, comme une princesse. Depuis notre fuite de Fribourg, nous avions toujours mangé sur le pouce, que ce soit des plats à emporter qu'on bouffait en quelques minutes à l'hôtel ou dans des fournisseurs de crasses styles macdo, bourrées d'OGM et d'autres merdes. Le type de lieux dans lequel on ne s'attardait pas.

Alors que je l'emmène en ville, je m'arrête devant un fleuriste. Je ne l'avais jamais fait non plus. Si c'est notre dernière soirée, autant le faire bien. Comme un vrai rendez-vous d'amoureux.

Elle est étonnée. Le fait de décider de l'emmener dans un resto, de prendre du temps la surprend. Mais, même si sortir et se comporter comme un couple normal lui procure un immense plaisir, elle n'est pas dupe.

« Tu me caches quelque chose. Le fait de te mettre aux petits oignons, comme cela, alors que cela ne s'était jamais produit depuis que nous avons fui Fribourg, me fais penser que... »

Je l'interromps. Je savais ce qu'elle allait dire. Je ne veux pas continuer cette conversation. Je souhaite juste savourer ce dernier instant, avec elle.

« Arrête de te faire des idées. Avec ce qui s'est passé hier, je pensais que tu avais besoin d'autre chose. Je ne suis pas magicien, c'est une des seules choses que je peux faire. Alors, pendant le temps qu'on reste ici, dans ce petit restaurant, ne pense plus à tout cela. Comme si c'était notre premier rendez-vous. Car en y repensant, c'est vrai, on a jamais fait tout cela dans les règles de l'art. »

Elle se met à rire.

« Dans les règles de l'art ! Toi, Chris, l'anti-conformiste, qui veut changer le monde, qui ne se satisfait pas des règles établies, les remettant en cause ! Toi, qui fuis depuis des mois à cause d'une utopie de bisounours, pensant qu'il serait capable de changer le monde ! »

Gêné, je baisse les yeux. Sa voix porte tellement que la moitié du resto s'est retournée et regarde notre table.

« Je pensais que ça te ferait plaisir. Que ça te permettrait de te changer les idées.

— Si tu veux me changer les idées, il y a un moyen qui t'es nettement plus accessible, me dit-elle avec un sourire coquin.

Je sens un de ses pieds, déchaussé, remonter doucement le long de ma jambe gauche. Il termine sa course à hauteur de ma région pubienne. Et elle ne s'arrête pas là. Elle commence à caresser mon sexe. Je n'en reviens pas. Cette femme qui s'était faite agresser, violer la veille, est en train de me chauffer. J'étais loin de m'imaginer une telle chose possible. Elle ne doit pas être humaine. Je ne sais pas, je pense que si j'avais été à sa place, il m'en aurait fallu plusieurs mois pour m'en remettre. Je sens mes joues chauffer, j'ai l'impression que le resto entier reluque sous notre table.

« Écoute, je...

— Mais c'est qu'il est gêné, mon Chris ! Ne t'inquiète pas, je sais me tenir. »

Elle retire sa jambe, et picore les dernières nouilles de son assiette, comme si de rien n'était. Je n'y comprends rien. Frida la douce blonde sensuelle était devenue subitement Margot la folle, avide de sexe qui parcourait les rues de Paris pour se faire sauter par n'importe qui.

Le reste du dîner se termine presque dans le silence. Nous savourons chacun nos petits plats. On ne regarde pas à la dépense, j'avais dit à Frida de prendre ce qui lui chantait. Tant pis si mon portefeuille est vide après. Ce dernier repas est mon cadeau d'adieu.

Nous rentrons à l'hôtel, et l'on s'affala tous les deux le lit. Frida se jette littéralement sur moi, et commence à essayer de titiller le petit maréchal. Mais l'érection ne vient pas. Je n'y arrive plus, même si je meurs d'envie de lui faire l'amour une dernière fois. Je prétexte l'épuisement et quelques minutes plus tard, malgré sa frustration, simule l'endormissement.

Elle peste encore de son côté. Alors que je fais semblant de dormir, je jure l'entendre pleurer. Je crois qu'elle a compris. Mais finalement, elle finit par se calmer et s'endormir. Et moi, j'attends.

Il est exactement 3h30 du matin et je regarde ma compagne pour la dernière fois. Je lui tends un dernier baiser sur ses lèvres pulpeuses. Puis, je commence à pousser.

« Pardonne-moi ».

Je rentre de force dans son esprit. Je ne garde que nos deux mois de vie ensemble à Fribourg, notre nuit de folie, et ces derniers instants, ce dernier « rendez-vous ». J'efface tout le reste : les crimes dont je suis accusé, la traque, les skins, etc. Aucun souvenir. Tant pis si elle croit ce qu'elle voit dans la presse. Je souhaite seulement qu'elle garde le souvenir d'un amant doux et attentionné.

Je prends ensuite mes affaires, en tentant de refréner mes larmes. Mais ma décision est prise. Mon seul but est de faire tomber ces connards. Démolir ce qui semble être une conspiration, pour le bien de l'humanité.

Elle ne bronche pas un instant, malgré le bruit de mes déplacements. Un dernier regard, juste un. Frida, j'aurais tant aimé te rencontrer dans d'autres circonstances. J'aurai tant aimé te connaître sans toutes ces conneries, et profiter réellement de la vie avec toi. Même si dorénavant je suis libre, sans aucune contrainte, je me sens déjà seul. Horriblement seul. Je ne peux plus retenir mes larmes en fermant la porte.

L'aube d'un monde meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant