Le réveil après les citrouilles...

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Lorsque mon réveil sonne, je me lève brusquement, prenant conscience que cette dernière journée de la semaine est celle qui sonne mon exposé sur l'Horloge de Baudelaire, que j'ai préparé durant toute ma journée d'hier, avec le spectre de Lou autour de moi. Comment aurais-je pu imaginer un seul instant qu'une jeune goule rencontrée à une soirée Halloween aurait pu avoir autant d'impact sur moi ? Moi, la fille croqueuse, la fille aux cent amants et maîtresses, celle qui préfère s'amuser que d'aimer. Je me pensais forte et à l'abri de tout sentiment et, pourtant, en trois heures, Lou a réussi à percer mon cœur.

A la vibration de ma montre, je me rends soudainement compte qu'il est sept heures trente et que je suis encore là, à papillonner devant mon armoire, alors que je suis censée partir d'ici dix minutes. La journée risque d'être bien longue si je ne parviens pas à me reconnecter à la réalité.



Comme toujours, j'attends le dernier moment pour quitter ma petite Ford et me précipiter vers le bâtiment où a lieu mon prochain cours. Mes longs cheveux sont trempés lorsque je franchis le seuil de la classe et je me pose à la première table, celle qui est la plus proche de la porte et qui me permettra de filer au plus vite à la fin. Natalia, fidèle à elle-même, s'assied à côté de moi, mais stoppe très vite ses tentatives de conversation lorsqu'elle se rend compte que mon état est le même qu'hier. Je me sens dévastée. J'avais espéré ne jamais connaître ce sentiment terrible qu'est l'amour avant d'être entièrement transformée, mais c'est trop tard. J'ai goûté ce fruit qui m'était défendu et, à présent, je dois assumer mes erreurs.

Mon regard se pose sur une citrouille ramenée par ceux de ma promotion hier, et qui trône, impassible à mes souffrances intérieures, sur le bureau du professeur. Si j'osais, je lui ferais ravaler son sourire carnassier et son air suffisant qui me toise. Mais je n'ose pas. Je n'ose jamais. Elever la voix, me faire remarquer, montrer qui je suis réellement sont des choses bien trop compliquées pour moi. Je suis déjà jugée sans rien faire alors, qu'en serait-il s'il me prenait l'envie de me mettre sur le devant de la scène ? Ne pas y penser, respirer un grand coup et rester calme. Dans une heure, la journée sera finie et je pourrai rentrer à la maison, auprès de ma mère et de mon petit frère. Dans soixante minutes, le vendredi sera terminé et le torrent que retiennent mes yeux pourra s'écouler.

Entendant des pas dans le couloir, mon regard se porte sur celui-ci. Et là, quelle stupéfaction de croiser les yeux couleur vert d'eau. J'en suis sûre, c'est elle, Abygaël, qui avance d'un pas pressé vers la salle à côté. Son regard croise le mien, mais ne semble pas me voir. Mon cœur rate un battement, mes mains deviennent moites. Comme je l'imaginais, elle ne m'a pas reconnue. Elle m'a oubliée...



Tandis que je me pose sur ma chaise, sortant mon exposé que je vais devoir présenter à l'oral dans quelques minutes, je suis troublée. Serait-ce donc Lou que j'aurais aperçue, assise à côté de Natalia ? Je n'en suis pas certaine et, pourtant, cette étincelle que j'ai cru voir dans ses yeux me laisse perplexe. Je comprends à présent pourquoi elle ne voulait pas que je la retrouve et que je sache qui elle est réellement. Après tout, elle ne me connait pas et ne peut pas savoir si je suis, ou non, ouverte d'esprit. Pourtant, lorsque je la vois ainsi, je n'ai qu'une envie, la prendre dans mes bras pour la rassurer, lui dire que, même si je ne vis pas la même chose qu'elle, je peux la comprendre et l'aider. Je ne suis peut-être pas romantique, mais je sais ce que signifient les palpitations que j'ai ressenties en l'apercevant, plus belle encore que derrière un masque. Je l'aime.

La voix de mon professeur me sort de mes pensées et je m'avance vers le bureau, plus stressée que je ne l'ai jamais été, espérant seulement qu'il nous lâche à l'heure pour que je puisse rejoindre la belle goule.



A peine notre professeur nous a-t-il souhaité un bon week-end que je me précipite vers la porte, pour m'échapper au plus vite. En franchissant le seuil et tournant trop rapidement vers la droite, je manque de percuter une personne et me confonds en excuses, tentant de la contourner. Mais une main attrape mon bras avant que je ne parvienne à partir, ravivant en moi d'anciennes peurs d'enfant harcelé. La voix qui me parle me transit et me calme à la fois. Abygaël est devant moi, du haut de son petit mètre soixante, et me lâche, posant simplement sa main sur la mienne. Elle m'a reconnue et souhaite une discussion qui me fait à la fois envie et peur. Comment lui expliquer ce que je suis réellement, sans la faire fuir ?

D'un signe de tête, elle me montre la salle que je fuyais, et nous nous y engouffrons, sous les murmures désapprobateurs de certains de mes camarades, considérant ma belle petite fée comme une garce. Je suis scotchée par son attitude. Elle ne leur répond pas, ne baisse pas le regard, et se contente de leur faire un rictus moqueur, là où moi, je me serais enfouie ou cachée le plus loin possible. Tandis qu'elle pose ses fesses sur le bureau, à côté de la citrouille à l'air moqueur, je ne peux m'empêcher de passer une main sur mes joues, espérant que, malgré la fin de journée, elles soient toujours impeccablement rasées. Elle ne dit rien, se contentant de m'observer de ses yeux si envoûtants, et je donnerais tout ce que je possède pour savoir ce qu'il se passe dans son cerveau.



La pauvre Lou semble totalement paniquée à l'idée que j'ai pu la reconnaître. Moi-même, je ne sais pas comment j'y suis parvenue. Son regard, j'en suis certaine. Malgré les lentilles rouges qui cachaient ses magnifiques yeux noisette, je me suis immédiatement plongée dans cette tristesse et cette mélancolie. La jupe qu'elle porte aujourd'hui est encore une fois longue et son pull à col bénitier permet de masquer son manque de poitrine. Elle est si complexée. Comme si une femme devait absolument avoir une poitrine développée. Quelle ironie que je me retrouve moi, avec mon bonnet plutôt imposant, à la rassurer sur ce point. Au moins, cette discussion sur la taille des poitrines féminines semble la décontracter un peu, car elle esquisse un sourire. Assise au fond de la salle de cours, dos au mur, et jambes relevées sur son torse, elle ressemblerait presque à une fillette. 

Citrouille, témoin de notre amour...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant