Chapitre 5 - Run boy run

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OK, OK, je reste cool. Je reste... Putain, la porte arrière est coincée, Blue et moi n'avons aucune chance. Non, ne panique pas Joana.
Et merde. Au diable la prudence, je décide de saboter tous mes efforts et commence à tirer sur la chaîne comme je le peux. Je n'ai plus qu'une idée fixe : sortir, quitte à défoncer la porte à coups d'épaule. Je suis une menteuse, pas une guerrière. Je n'avais pas peur de cogner les petites frappes, sauf que je n'étais pas enfermée entre quatre murs sans la possibilité de prévenir qui que ce soit. Je ne suis pas une superhéroïne capable de tenir tête au méchant. Je suis une pauvre fille.
Quand il se tourne vers moi, je deviens une pauvre fille paniquée.
Un rayon de lune éclaire son visage, j'ai l'impression de voir un prédateur. Ce mec a définitivement perdu la raison.
En trois enjambées, il s'agenouille devant moi. Je me débats comme je peux, essaie d'atteindre sa blessure au flanc.
Inutile, il m'immobilise comme une mouche sur du papier collant. La douleur m'arrache quelques larmes, la frustration en entraîne d'autres. Je viens de tout gâcher.
C'était sans compter sur ma complice. Avec une rapidité dont je ne l'imaginais pas capable, elle passe la chaîne de ses menottes autour du cou de Josef. Surpris, ce dernier se redresse brusquement. Ses mains brassent le vide pour essayer de s'en débarrasser, mais elle tient bon. Elle saute sur son dos et tire, tire, tire de toutes ses forces.
L'homme suffoque, s'agite dans tous les sens.
Je reprends mes esprits et recommence moi-même à forcer sur mes liens. Je vois le maillon prêt à céder, mais mon bras blessé manque de vigueur, je dois tout miser sur l'autre.
Les gouttes de sueur coulent sur mon visage, mes doigts se raidissent.
Je jette un coup d'œil rapide en direction de la camée et étouffe un cri quand elle cède enfin sous la force brutale de Josef.
Un instant, je crains qu'il ne l'ait assommée.
C'était mal la connaître, elle se relève en vitesse et un violent combat s'engage.

Agile, Blue vise la blessure de son adversaire. Son petit gabarit lui permet d'éviter les coups, mais elle va rapidement fatiguer. On dirait qu'elle s'est battue toute sa vie, je dois penser à ériger une statue en son honneur quand on se sera tirées d'ici.
Enfin, le maillon se rompt. Je tombe à la renverse puis me ressaisis. Pendant que Blue distrait Josef, je m'occupe de la sortie. Mes jambes tremblent et peinent à me porter, mais qu'importe, je me jette sur le double battant.
C'est à peine assez pour l'ouvrir davantage. À bout de souffle, je continue de donner des coups d'épaule. Je ne pense même plus à ce qui se passe dehors, je dois tenir bon.
Courage, Jo.
Quelque chose craque derrière moi, je prends le plus d'élan possible... et m'écrase sur le bitume.
Ma tête tourne, je vois flou, je ne comprends pas ce qui vient de se passer.
J'enregistre en vrac l'air frais, la neige, l'odeur des pins...
Puis un coup de feu résonne dans le silence.

*

Blue.
Il a réussi à trouver des munitions.
Et il a flingué Blue.
Oh putain, c'est pas vrai. J'ai envie de pleurer tant cela me paraît injuste. Ouais, même si j'ai dit que je m'en foutais.
Une main me serre l'épaule, je me redresse et ébauche un mouvement de recul. Blue saigne à l'arcade, mais elle a survécu. Derrière elle, Petit Gros laisse tomber un vieux fusil de chasse puis s'en éloigne, comme s'il avait le pouvoir de le mordre. Il se trouve dans un piteux état. Il a bandé ses blessures à la va-vite, il halète, il transpire... Mais il vit.
Une palette d'émotions me secoue : soulagement, crainte, angoisse. Que va-t-il se passer maintenant ?
Notre sauveur se tourne sans cesse vers la carcasse du bus. J'ignore la raison de son incarcération, cependant je pourrais parier que ce n'est pas pour avoir fait du mal à quelqu'un. On voit que son acte le dégoûte et l'effraie en même temps. Même le sourire qu'il m'adresse est empreint de crainte. J'ai honte d'avoir détourné les yeux.
— Je m'appelle Harvey.
— Joana, répond une voix rauque qui ressemble à la mienne.
— Il y a une maison là-bas, reprend-il en désignant les arbres. Elle est abandonnée, mais j'y ai trouvé de quoi manger et se soigner. Mieux vaut ne pas traîner par ici, je ne suis pas certain qu'il soit...
Ses mots sont teintés d'un léger accent français et sa nervosité est contagieuse. Son pouce pointe vers le bus, il grimace.
— Je ne voulais pas revenir, avoue-t-il. J'ai tenté de fuir, mais je ne me sens pas capable de m'en sortir tout seul. Il se passe des choses étranges, par ici.
Son choix a beau se révéler égoïste, je l'en remercie.
Je prends enfin le temps de regarder autour de moi et constate qu'il a raison. De nuit, c'est encore plus flagrant. L'air... scintille.
J'en comprends la cause quand une luciole atterrit sur ma main. Elles sont des centaines, que dis-je, des milliers. Certaines volettent autour de nous, d'autres se sont posées sur la neige ou sur les arbres. Je n'en ai jamais vu autant.
Blue tire sur ma manche, je me détourne à regret et cale mon pas sur celui de mes compagnons de galère. L'avenir n'a jamais paru si incertain. J'ignore dans quel endroit nous sommes et comment nous allons en partir.
Est-ce que le monde entier est touché ? Va-t-on crever de faim ou de soif ? Pourrai-je retrouver ma vie d'avant ?
Je ne sais pas ce qui se passe ni pourquoi. En attendant, nous devons avancer.
Traverser le rideau d'étoiles qui dansent en un ballet féerique et silencieux.
Flottent autour de nous.
Coulent sur le bitume.

Sur le BitumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant