Une prison peinte.

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      Le peintre repose sa palette de couleur, et s'essuie la joue du plat de la main, étalant plus qu'effaçant la tâche de peinture y trônant. Il sourit, fier de son travail, jette un dernier coup d'œil au lac lui servant de modèle, puis laisse sa toile sécher pour se chercher à boire au marchand ambulant installé un peu plus loin. Il surveille sa toile du coin de l'œil, mais peu de gens étant présent, il ne s'inquiète pas trop.


     Sur sa toile, l'eau commence doucement à onduler, comme si quelque chose cherchait à sortir du liquide. Un des cygnes peints prend son envol, pour s'éloigner de l'eau, et du danger potentiel. L'autre continue de nager tranquillement, courageux ou complètement stupide, sans se préoccuper plus que nécessaire de l'agitation du lac.


     Le peintre revient vers sa toile, et la frôle légèrement des doigts, pour voir si il peut déjà l'emballer pour la ramener chez lui. Après le passage de sa main, une goutte coule le long de la peinture, et s'échoue dans l'herbe, sans que le peintre s'en rende compte, trop occuper à ranger ses peintures et ses pinceaux, et à replier son siège. Le cygne tournoie dans le ciel, cherchant à attirer son camarade hors de l'eau , mais se fige quand le peintre regarde sa toile, avant de l'emballer.
     Un grondement retentit dans le noir, faisant trembler le cygne en vol. Il ne sait pas combien de temps le transport durera, et ne peut voir son camarde, ni ce qu'il se passe dans le fond du lac. Il sent le mouvement des pas du peintre, et souhaite que cela cesse au plus vite, pour ravoir de la lumière.
     Enfin, le peintre s'arrête et dépose sa toile, et en retire le drap la protégeant. Il détaille son œuvre, et se sent mal à l'aise, comme s'il n'avait pas peint ce qui se trouve sous ses yeux. Il cligne des yeux, puis sort de la pièce, mettant ce sentiment sur le compte du soleil tapant fort dehors. Après tout, il était resté longtemps sans chapeau au bord du lac.
     Le cygne accueille la lumière revenue avec un cri de joie, avant de plonger son regard vers l'eau. Il faillit chuter dans le lac, sous le choque. Un lion avait pointé le museau hors de l'eau pendant le trajet. Un lion tentaculaire... Il cherche son camarade, mais ce dernier a disparu. Il scrute plus attentivement l'hybride, et voit avec horreur quelques plumes s'échapper de la bouche de l'animal. Il tournoie de plus en plus vite dans le ciel, avant de se décider à foncer vers l'extérieur de la peinture. Il se retrouve coincé, à mi-chemin entre le monde réelle et la peinture. Il sent le souffle du prédateur derrière lui, et redouble d'effort pour sortir.
     Une plume après l'autre, il parvient à s'échapper, et se retourne vers la toile. Il y a laissé un énorme trou, que la gueule du Lion s'empresse de remplir, pour tenter de rattraper la proie. L'oiseau se change en hybride mi-homme mi-cygne, et cherche du regard de quoi faire flamber le lac. Il trouve un briquet dans un des tiroirs. Il s'empresse de mettre le feu, voyant la langue de l'autre animal lécher les contour du trou.
     Entendant le bruit des pas du peintre dans le couloir, il s'empresse de trouver un papier pour s'excuser. Il gribouille rapidement son mot, et s'enfuit par la fenêtre de l'atelier, au moment même où le peintre, alerté par l'odeur de peinture brûlée, ouvre la porte. Il a juste le temps de disparaître dans un battement d'aile.


     Le peintre regarde son atelier, puis son tableau. Tout n'est plus que mort et désolation. Il soupire, et va chercher de l'encens pour recouvrir l'odeur de fumée. Ce n'est pas sa première toile qui brûle de l'intérieur. Un mouvement sur le sol attire son attention, et il découvre une langue convulsant au pied du chevalet. Posé sur son tabouret, il voit également le mot laissé par le cygne. Il s'en saisit, et embroche la langue avec une pique se trouvant dans son atelier. L'encre coule encore, pas sèche.
     Il le lit, et sourit. Au moins un qui a réussi à partir.

Une prison à éternité variable.Where stories live. Discover now