Prologue

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« Le dôme »

Les phares éclairent le panneau de signalisation, un lieu-dit, étrange indication d'une curiosité locale certainement, comme on en voit partout. Sans importance. Quand plus loin :

« La liberté »

Un mot, posé là, associé à une flèche donnent une direction. Comme si, mis ensemble, ils pouvaient avoir le moindre sens. Comme si une idée pouvait se situer autre part que dans la tête. Comme s'il suffisait de suivre la voie, tourner au prochain croisement pour la trouver, enfin.

  « Le repos, la paix, un rêve »

Un panneau, encore, qui interroge, interpelle, et devant, loin, n'en finissant plus, s'élance le bitume.

Depuis longtemps, la route éventre la forêt. La cicatrice laissée sur la terre semble ne pas avoir de fin. À l'horizon, le soleil bourgeonne à peine. La lumière des phares lui répond, s'associe à la lueur de cette fin d'aube, de ce début de jour.

Les paupières plissées, on regarde le soleil se lever. On fait face à son éclat encore timide, une lumière froide, rasante, qui prendra de l'ampleur, qui retrouvera sa chaleur à mesure que le soleil s'élève dans le ciel. D'ici là, aucun arrêt n'est prévu. On se précipite vers ce qui ne finit plus, sur une ligne traversée pas d'autres routes, sans l'intention de les emprunter. On est fatigué.

Curieux, pourtant, on tourne la tête sur le côté et jette un œil dans cette autre direction. On se tord le cou pour percevoir ce qui peut y avoir, ailleurs. Et, resté là, dans l'habitacle, le corps suit le mouvement du cœur. Il ne peut réprimer l'élan, voulant s'élancer là où le regard est parti. Le buste pivote alors sur la gauche, un peu. L'axe des épaules aussi, les bras autant, le volant avec, la voiture se déporte un peu plus sur la gauche, chevauche les lignes blanches, passe à présent de l'autre côté. Quand l'intersection est passée, on est immédiatement rappelé, ici, constatant l'écart, ressentant la peur, resserrant les mains par instinct, redressant le regard et le volant pour revenir sur sa ligne, droite, les yeux plissés, une grimace aux lèvres.

Trop tard. Une voiture allait dans l'autre sens. C'est trop tard. Crissement des pneus. C'est déjà fini. La taule se plie. Obscurité. Des éclats de vitres. Un cri. Précède la mort. Mais tout va bien, on imagine seulement, les dents serrées et le cœur battant. Il n'y a pas personne à contre-sens. Une chance. Toujours une chance. La prochaine fois, on n'y échappera pas. Et l'on continue droit devant, sans plus dévier d'un pouce. On promet de filer droit, ne plus regarder ces que l'on pourrait croiser, que l'on laissera derrière, cette infinité de lieux, singuliers, à découvrir, à explorer, cette infinité d'idées que l'on ne verra pas maintenant, que l'on ne trouvera peut-être jamais. C'est que d'autres choses attendent, au loin, sur cette route qui se jette dans le feu du soleil.

Quelles sont ces choses qui attendent déjà ?

On liste ces tâches à faire, ces préoccupations, ces obligations. Des petits trucs et de grandes choses, en responsabilités, en projets, en devoirs, en corvées aussi. Et, sans s'en rende compte, moins de pression est exercée sur l'accélérateur. La voiture décélère. À moins que ce ne soit les arbres qui ralentissent. Sans savoir pourquoi, le pied appuie doucement sur le frein, la main gauche soulève le clignotant avant que la voiture se déporte tranquillement sur le bas-côté, puis s'arrête, tandis que le regard continue sur sa lancée, plus loin encore, sondant ce qui attend, ce qu'il y aura après, cet autre horizon qui aussi attend, parce qu'il donne sur un autre horizon qui attend tout autant. Cependant, aucun d'entre eux n'appelle. On se penche, comme pour mieux voire, comme pour mieux entendre. Le front finit par se coller contre le haut du volant, sur les mains qui ne lâchent pas. On ferme les yeux. Le clignotant est toujours activé. On souffle avant de relever la tête, de plisser les yeux et d'être frappé par le soleil, de s'adosser contre son siège, de regarder dans le rétroviseur.

Rien dans le rétroviseur. Tout dans le rétroviseur. Personne à contre-sens.

Demi-tour. Revenir un cran en arrière. Rattraper l'instant passé. Imaginer qu'il soit effectivement trop tard. Que la piste se soit effacée. Que la forêt se soit refermée. Que l'appel se soit tu. Que le secret se soit celé. Qu'il n'existe pas de deuxième chance.

Aucun panneau dans ce sens, aucun indice, rien. Le soleil brille dans le dos, projette une ombre sur cette route ouverte aux deux bouts ; le jour vient de l'un, s'éteint à l'autre.

Là ! le croisement.

Malgré les rayons du jour qui se fraient un chemin entre les arbres, il fait plus sombre ici, plus froid aussi. La voiture traverse les lames de lumière, bousculée par une voie de terre accidentée. Nul besoin d'aller vite, impossible de toute façon. Le moteur se fait plus silencieux, pas assez pour entendre la rumeur du vent. On ouvre les fenêtres. Qu'une voie lui soit faite. Que l'on sente la fraicheur de l'air nous traverser. Que l'on s'en remplisse. La forêt est dense. Fugitif, son souffle entre et vient jusqu'au cœur.

On s'arrête. On coupe le moteur. On sort. On respire. On écoute.

La paix.

/ Sais-tu ce qui nous lie ? \

Surpris, on se tourne, se retourne, lève les yeux au ciel, les descend sur terre, cherche d'où vient cette voix, cette question. Nulle part. Partout. Les frondaisons dansent.

/ Te rappelles-tu ? \

Des mouvements, furtifs, se dissocient du tout avant de se fondre au reste, comme s'ils ne les avaient jamais réellement quittés ; on perçoit une musique qui se décroche du bruissement environnant, une musique qui dit, peut-être, ce que l'on a oublié. Un merle babille. Le regard revient sur le chemin. Aimanté, on continue à pied, on suit la voie de terre, et l'on marche et marche tandis qu'expire le vent :

/ Adelphe de Vie \

Et l'on marche et marche encore sans savoir où, sans savoir pourquoi. On marche et écoute le vent ; on sent sa caresse sur la peau, et respire son chant :

/ Votre mouvement, votre élan \

Et l'on marche jusqu'à ce que disparaisse le chemin, que le faisceau de terre s'effile entre les arbres en un millier de possibles. Aucune trace. Où aller ?

/ Hors de l'oubli, l'indifférence et la désobligeance \

On veut continuer, se perdre dans cette forêt, s'y retrouver, comprendre cette voix qui appelle, que soi-même réclame, et l'on trace son propre chemin, lève les pieds, écrase des ronces, contourne, récolte la sève ici, puis là, sur les mains, les habits, quelques écorchures aussi. Les pas s'enfoncent, on glisse, tombe, se relève, continue quand tout à coup, entre les verticaux, on perçoit une clairière, et dans cette clairière un étang, et au bord de cet étang une maison. Blanche, avec des volets bleus. On sort du sous-bois. Respire. Écoute.

Le repos.

Le soleil est haut dans le ciel. On ne voit que cette porte qui semble entrouverte. Dessus, des formes apparaissent, et à mesure que l'on s'approche, les formes deviennent lettres, lettres qui deviennent mots, pour qu'enfin, arrivé sur le perron, on lise :

« Bienvenue dans cette maison de papier. Je t'attendais. »

La main pousse la porte. La lumière est déjà là. Elle nous a précédé, elle est entrée par une porte fenêtre qui ouvre le mur en face ; le regard passe dans l'autre sens, sort et s'éblouit aux mille reflets qu'offrent l'étang. Dans la pièce, au milieu, une chaise, une table...

On entre, ne regarde rien d'autre, s'assoie et ouvre.

... un rêve.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant